Exposition – Les tourments et apaisements de Jacqueline Oyex
Musée Alexis Forel, Morges, du mercredi au dimanche 14h - 18h, jusqu’au 13 août
Quand je travaille, je n’ai plus d’angoisse, je me délivre, je suis heureuse », disait Jacqueline Oyex (1931-2006), dont la vie a été habitée par de graves dépressions. Enfant, elle fut marquée par la mort de son frère jumeau. Elle ne parvint jamais à se libérer de ce traumatisme, qui engendra chez elle le sentiment de culpabilité de la « survivante ». Dès 1951, elle fit néanmoins de brillantes études à l’Ecole des Beaux-Arts de Lausanne, puis suivit des cours dans une académie parisienne. Elle travailla successivement dans l’atelier de Violette Diserens, puis dans celui du sculpteur Casimir Reymond, auquel elle voua une immense admiration, cachant certainement un amour sans réponse. Dès le décès de ce maître en 1969, elle présenta des signes d’altération psychique, continuant notamment à lui préparer ses repas et à lui parler jusqu’à sa propre mort.
On ne saurait cependant réduire la personnalité et l’œuvre de Jacqueline Oyex à ses problèmes de santé. Son œuvre est riche, variée et souvent fascinante. Dans l’exposition du Musée Alexis Forel, on verra d’abord des vues de Paris, qui font penser à Utrillo, l’une de ses références artistiques. On y observe déjà la distorsion des formes qui leur donne un caractère personnel. Ses natures mortes à l’huile sont généreuses en matière picturale. Plus classiques, voire académiques, des nus au crayon gras attestent néanmoins le souci de la jeune artiste de ne pas rester dans la banale figuration. On le voit aussi dans ses forts portraits d’hommes au regard presque halluciné, tout en verticalité comme chez Le Greco. Autres influences sur Jacqueline Oyex, celles de Van Gogh, Soutine et Rouault.
C’est au second étage de la belle demeure Renaissance qui abrite le musée que se trouvent les productions les plus saisissantes et originales de l’artiste. Il y a comme un hiatus entre d’une part sa photo, qui montre un visage à la fois doux, réservé et au regard fixe, et d’autre part ses eaux-fortes et aquarelles qui ont une force presque « expressionniste », même si, semble-t-il, ce terme ne convient pas pour les définir. Ce sont notamment des représentations de couples, où l’on trouve une constante : la main de l’homme posée sur le sein de la femme. Comme le dit très justement Pietro Sarto dans la vidéo qui permet de mieux comprendre l’exposition, « dans la gravure il y a de la couleur », qui transcende donc le noir-blanc. Certaines œuvres sont chargées d’érotisme. A la fin de son activité artistique, dans une maison de santé, avant l’établissement psycho-gériatrique où elle termina sa vie, Jacqueline Oyex se mit à la peinture au doigt. Bien que proche de l’Art Brut, elle ne peut être rattachée à celui-ci, comme l’exprime bien Michel Thévoz, le grand spécialiste de cet art « spontané » qui concerne surtout des marginaux, des illuminés, des malades mentaux. Or on a vu que l’artiste a suivi une solide formation artistique.
Comme l’exposition a été organisée avec le soutien de la Fondation Jacqueline Oyex en faveur de la création, on peut y voir aussi les œuvres d’Alexandre Loye, qui a obtenu sa Distinction 2023. Elles sont proches par leur esprit de celle qui les a sans doute inspirées, dans un esprit « expressionniste » qui rappelle les visages angoissés d’Edvard Munch. Quant à Valentine Schopfer, ses dessins, comme celui montrant une chapelle, évoquent ceux, inspirés par le romantisme, de Victor Hugo.
Voilà donc une exposition qui, dans un cadre architectural magnifique, offre de belles découvertes !
« Jacqueline Oyex », Musée Alexis Forel, Morges, Grand-Rue 54
Du mercredi au dimanche 14h - 18h, jusqu’au 13 août