Du cinéma théâtral au théâtre cinématographique
« La Course des Géants » au Théâtre de l’Octogone de Pully
Grégoire de Rham | De tous temps, théâtre et cinéma ont vécu dans une harmonie relative, comme de véritables frères ennemis. Si le second s’est construit sur les bases du premier, il a eu bien vite fait de le détrôner de son piédestal de roi du divertissement, le reléguant souvent à quelques passionnés et autres curieux. Le théâtre, par son essence, présente en effet des difficultés non négligeables : outre que le comédien ne possède pas de don d’ubiquité, et que l’on peut exclure tout montage, la taille de la scène limite considérablement les changements de lieux et de décors. Voilà qui joue en faveur du cinéma, art modulable à l’envi, dans lequel on n’hésite pas à faire plusieurs prises de la même scène, de sorte que l’on puisse en ressortir la meilleure au moment de la présenter au public. Le théâtre s’est donc vu obligé de construire de nouveaux codes, propres à l’espace dont il disposait, oubliant le besoin de réalisme au profit de l’agencement scénique.

Alors, irréconciliables, ces deux arts fratricides ?
Difficile de le penser au sortir de La Course des Géants, écrit et mis en scène par Mélody Mourey et présenté le samedi 5 novembre dernier au Théâtre de l’Octogone à Pully. Car c’est précisément dans le répertoire cinématographique que la jeune autrice a décidé de puiser pour cette épopée lunaire.
L’histoire est celle d’un garçon de pizzeria au père décédé et à la mère à moitié folle. Naviguant entre son côté loubard et son rêve de marcher sur la lune, il se voit, par un concours de circonstance, proposer l’opportunité d’intégrer la NASA. La figure de celui qui n’est rien qui devient celui qui est tout se retrouve en effet dans plus d’un long-métrage hollywoodien à succès. La Course des Géants suit ce schéma à la lettre, et le personnage de Jack Mancini, magnifiquement campé par Jordi Le Bolloc’h, oscille entre des traits attachants et un égoïsme insupportable.
Mais l’inspiration cinématographique de la pièce ne se limite pas à son seul récit. C’est de fait tout le rythme de la mise en scène qui se voit influencé par le septième art. Vif, saccadé, celui-ci ne laisse pas le temps au spectateur de s’ennuyer. C’est ainsi que Mélody Mourey réussit l’exploit d’un « montage » théâtral, profitant d’une création lumière et vidéo qui transporte sans cesse le public d’un endroit à l’autre. Exit l’unité de lieu, de temps et d’action, on a droit ici à un vrai scénario hollywoodien, avec suspense, tensions et frissons! A cela s’ajoute une qualité de jeu remarquable de la part des six comédien·ne·s qui se partagent en une heure quarante une trentaine de personnages. On pourrait cependant craindre deux choses : premièrement qu’un tel spectacle ne soit finalement que du cinéma théâtralisé et que le fait de le mettre sur scène n’aurait pas plus d’intérêt que de filmer une représentation théâtrale, secondement que tout cela ne soit qu’une américanisation supplémentaire du paysage culturel francophone.
Deux contradictions finalement assez rapidement balayées. Pour la première, Mélody Mourey s’extirpe aisément du dangereux piège de la confusion des genres. En mettant à profit l’espace tridimensionnel de la scène dont ne peut profiter le cinéma, en créant à force d’effets lumineux et de mises en espace un langage on ne peut plus théâtral.
Pour la seconde, si le rythme est américain, l’humour en est bien français et le récit apatride. Si le contexte de la guerre froide aux Etats-Unis prédomine, l’histoire pourrait en effet se situer n’importe où, n’importe quand et parle aux rêveries de chacun d’entre nous.




