Cully – Bonjour ! je m’appelle Jean Daniel Abraham Davel
24 avril 2023 – 300e anniversaire de la mort du Major Davel
Je suis né le 20 octobre 1670 à Morrens où mon papa, Abraham Davel, était pasteur. Notre famille est originaire de Riex. Mon papa décède en 1676 et avec ma maman, mes deux frères et mes deux sœurs, on déménage à Lausanne à la rue de la Mercerie. Louis XIV règne sur la France à cette époque.
Après des études à Lausanne, en 1688 je deviens notaire à Cully, cette petite ville de Lavaux proche de Lausanne. Je suis également commissaire arpenteur (géomètre).
En 1692, à l’âge de 22 ans, je commence une carrière militaire au service du prince Eugène de Savoie, puis de John Churchill, duc de Marlborough. Je participe aussi aux côtés des Bernois à la deuxième bataille de Villmergen, en Argovie, en 1712. C’était la guerre entre les cantons catholiques et les cantons réformés. Après la victoire de l’alliance protestante, dont je fais partie, je suis nommé major et je reçois une rente à vie. En 1717, les Bernois me donnent le commandement des milices de l’arrondissement de Lavaux et mes soldats m’appellent familièrement le Major Davel… J’ai aussi une fonction au sein de la justice.
Toutes ces expériences accumulées en tant que notaire, arpenteur, militaire et membre de la justice m’ouvrent les yeux sur la gouvernance du Pays de Vaud par les Bernois et leurs baillis qui ne s’embarrassent pas de sentiments pour taxer lourdement ce pays conquis en 1536. Patiemment, je dresse une liste des griefs que je leur reproche et j’en fais un manifeste inventoriant les souffrances de mes compatriotes. C’est à partir de ce moment-là que j’envisage de libérer les Vaudois du joug bernois et je prépare secrètement un plan pour réaliser ce grand dessein que j’entrevois dans un songe.
En résumé, je lève des troupes armées, on marche sur Lausanne et on convainc les notables lausannois d’adhérer à mon idée et on part tous ensemble avec des renforts en direction de Berne jusqu’au pont de Gümmenen pour faire barrage à toute velléité bernoise de revenir à la charge avec des soldats. Avec l’appui du Seigneur en qui je crois avec ferveur.
J’ai soigneusement choisi le jour du 31 mars 1723 pour exécuter mon plan, car tous les baillis et notables sont à Berne ce jour-là pour discuter de la répartition des charges de l’Etat et des baillages. Nul moment ne saurait être plus favorable, car si les Vaudois me suivent, on pourra facilement s’emparer des châteaux et lever des fonds de guerre ainsi que les munitions dont on aura besoin.
Dans un premier temps, je demande à Jean-Noé de Crousaz, de Chexbres, d’effectuer un exercice militaire le 25 mars avec ses hommes dans la plaine du Verney, à Puidoux, dans le but de procéder plus tard à une Revue des troupes à Cully le 31 mars.
Je convoque aussi les compagnies du capitaine Abraham Clavel et du capitaine-lieutenant Henri Gerbex. A 5h du matin, j’ai devant moi les trois compagnies de Lavaux et 12 dragons sur la place d’armes de Cully pour cette Revue avec environ 600 hommes. J’en fais l’inspection, je fais vider les gibernes des cartouches qu’elles contiennent et décharger les armes et je donne l’ordre de partir pour une grande Revue à Lausanne à la surprise de mes capitaines et des soldats que je réussis à convaincre en leur disant que c’est avec l’accord secret de Berne.
Arrivé à Lausanne, je fais ranger mes troupes près du Grand Temple (la cathédrale) et je demande à rencontrer les autorités lausannoises pour leur exposer mon plan. Dans un premier temps, il me semble qu’ils ont compris le besoin impérieux de se libérer de la tutelle bernoise, mais après coup, il m’ont pris pour un illuminé et se sont dépêchés d’avertir Berne de mon action…
Le 1er avril 1723, je suis arrêté, dépouillé de mon uniforme et mis aux fers, attaché contre une muraille, puis torturé pour savoir qui sont mes complices. Il n’y en a pas, et je m’aperçois que je suis bien le seul à croire à la libération de mon Pays de Vaud. Tous mes « amis » marchent à l’ombre des Bernois et des privilèges qu’ils ont reçus.
Je suis très rapidement reconnu coupable de crime de « lèse-majesté » et de trahison et condamné à mort par décapitation.
Le 24 avril 1723, on me conduit à Vidy, le lieu que les notables vaudois et bernois ont choisi pour m’enlever à jamais le goût de libérer mes compatriotes en séparant l’esprit du corps sous l’épée du bourreau. Ce jour est le plus beau jour de ma vie !
J’avais 53 ans, aujourd’hui j’en ai 353, et des centaines de Vaudoises et de Vaudois se réunissent pour me fêter et me célébrer comme un héros. J’en perds la tête !
En ce 24 avril 2023, j’ai vu à Cully tout le Conseil d’Etat, des députés du Grand Conseil, des préfets, des syndics, des notables et des gens de Cully agglutinés sur la place d’Armes d’où je suis parti avec mes soldats pour les libérer, en vain…
J’ai écouté attentivement les propos de Jean-Pierre Haenni, syndic de Bourg-en-Lavaux, et ça m’a fait chaud au cœur qu’il rappelle mes origines familiales « lombardes » attestées en 1491 en Chenaux dans la paroisse de Villette. C’est vrai que mes ancêtres étaient des maçons-tâcherons venus travailler dans la région depuis le Val Divedro derrière le Simplon. Ils sont restés dans Lavaux et devenus bourgeois de la paroisse de Villette en 1575. J’ai appris que les gens de Cully n’étaient pas très fiers de mon action pour libérer les Vaudois et qu’en 1724, ils avaient envoyé une députation à Leurs Excellences à Berne pour les assurer de leur fidélité… Heureusement pour moi, ils se sont un peu rattrapés depuis 1841 en apposant mon nom sur une rue, sur une place, sur une stèle, etc.
Le syndic a aussi souligné qu’un fils d’immigré peut devenir un fervent citoyen capable de défendre sa nouvelle patrie en y laissant sa vie.
Et j’ai également tendu l’oreille sur les termes élogieux de la présidente du Conseil d’Etat Christelle Luisier Brodard qui m’a qualifié « d’un courageux qui a tout perdu », mais en traçant une ligne, un sillon qui fut un symbole fondateur de notre canton et en devenant un héros à la dimension de son terroir. J’ai, parait-il, semé les graines qui ont fait éclore ce canton de Vaud entrant dans la Confédération suisse 80 ans plus tard en 1803. En résumé, j’avais vu clair trop tôt !
Les historiens Olivier Meuwly, Dominique Dirlewanger et Laurent Flutsch ont parlé de mon histoire sur la base de documentations récoltées au fil du temps et tout en regrettant de n’avoir aucune véritable image de mon visage. C’est vrai que je n’avais jamais demandé à un peintre de me tirer le portrait !
Le chœur du collège des Ruvines sous la direction d’Amandine Rapin, et avec la soliste Flavie Crisinel, ont égayé cette journée protocolaire qui a fait une large place aux discours.
Les milices vaudoises ont tiré au canon et au mousquet et défilé devant le Conseil d’Etat et toute la population locale ravie d’assister à ce spectacle solennel, pour moi empreint d’une nostalgie militaire inaboutie !
Quand la place d’Armes s’est vidée de tous ses invités, je me suis assis sur le mur au bord du lac, en face de ma stèle pour contempler cette épitaphe tardivement reconnaissante :
AU MAJOR DAVEL MORT
POUR L’INDÉPENDANCE DE SON PAYS
LE XXIV AVRIL MDCCXXIII
A SON PAYS ESCLAVE, OFFRANT
LA LIBERTÉ, COMME UN HÉROS
ANTIQUE, IL TOMBA SEUL POUR ELLE,
ET PIEUX PRÉCURSEUR
DE NOTRE ÈRE NOUVELLE, IL ATTENDIT SON JOUR DANS L’IMMORTALITÉ
Au revoir les Vaudois, on se reverra peut-être pour mon 400e anniversaire !