Cinéma – While The Green Grass Grows de Peter Mettler :
Penser la mort par le flux de la vie
Durant le rêve de 2h45 qu’il propose (la pointe de l’iceberg d’une œuvre bien plus conséquente), Peter Mettler prend le temps d’observer si fort que le regard devient créateur d’une inédite vision de la mort.
Au rythme de la méduse
Tout en lenteur, le mouvement sublime d’une méduse se déploie sur le grand écran du Capitole à Lausanne, le nouveau noyau – et joyau – de la cinémathèque suisse. Le rythme de While The Green Grass Grows est posé : l’articulation des questions « où vais-je / d’où suis-je » que pose Peter Mettler ne saurait souffrir la précipitation. Comme pour expliquer cette tranquillité, une scène donne le contexte qui rend le film possible. Une amie du réalisateur lui offre cinquante mille francs pour réaliser son très long-métrage. Alors qu’une concentration irréprochable est complexe à la vue de While The Green Grass Grows, le film tend à plonger son public dans un état méditatif, un état de conscience second que le film thématise par ailleurs.
L’expressivité du collage
While the green grass grows est un film libre, qui s’autorise une discontinuité assez troublante dans sa mise en image. Paysages Hodleriens et images dignes de cartes postales du siècle passé, caméra reportage secouée à bout de bras, animation, reproduction de lieux par un logiciel immobilier ou split screen d’un champ contrechamp : il semble que Peter Mettler ne s’interdise rien. Le film est construit comme un journal, qui suit les impulsions de son auteur et le matériel ou les gens qu’il a momentanément à disposition. Un voisin attrapé en vole embarque ainsi le réalisateur et ses deux chiens dans sa voiture pour une visite rock and roll de Landi. L’ancien tatoueur décrit sa pratique comme le fait de rendre visible ce qui est sous-jacent. A l’image de ce que dit son voisin appenzellois du tatouage, Mettler rend visible des concepts inexprimables, en alliant l’expressivité de l’image, celle des mots et celle de la musique.
Un écosystème Mettlerien
Peter Mettler est résolument présent à ces observations, il nous accompagne en mettant des mots sur ce qui est cadré. Les rivières deviennent actrices, les forêts interprètes, au point que la nature filmée par le réalisateur devienne une superbe pièce de théâtre au sein de laquelle chaque élément a son rôle à jouer. De passage à l’écal pour une rencontre avec les étudiant·e·s de première année, Peter Mettler raconte qu’il déteste la voix-over en documentaire, bien qu’il l’utilise dans son processus de montage pour guider sa narration. Il parvient ainsi à doser sa présence de manière parfaite dans son rendu final.
La mort comme un accouchement
Le flux de la vie déployé par While The Green Grass Grows accueille le deuil, à l’image d’une phrase du film disant que « la mort est un travail que l’on prépare comme un accouchement ». Alors que le film s’entame sur le décès de sa mère et se conclut sur celui de son père, Mettler explore le temps qui passe en le maitrisant. Le récit contre la linéarité du temps en juxtaposant les époques. Ainsi, la défunte mère est réanimée dans l’appartement désormais déserté. Ses cendres ont déjà été disséminées dans le Rhin, et pourtant la voilà qui se remet à danser, donnant vraiment le sentiment d’une réincarnation. La vivacité du père est exposée à son corps mourant lors de ses derniers instants. While the green grass grows se conclut ainsi sur la mort, vue sous un angle inédit que le voyage de Mettler rend possible.
While The Green Grass Grows de Peter Mettler, 2023, Suisse – Canada, 166’
A voir au Capitole à Lausanne durant tout le mois d’avril
à Vevey le 10 avril ou au cinéma d’Oron dès le 24 avril