Cinéma – Une famille, de Christine Angot
Christine Angot a rencontré son père à ses treize ans, âge auquel il a commencé à la violer. Depuis près de vingt ans, la romancière française parle publiquement de cet inceste afin de briser le silence systémique qui rend ce genre d’abus possible. La romancière signe ainsi un premier documentaire aussi loquace que nécessaire pour contrer le silence des siens et de la société.
Confronter l’indifférence
Christine Angot retourne à Strasbourg, le lieu où elle a rencontré son père. Ce dernier est mort, il ne peut être interrogé pour contribuer à la quête qu’elle entreprend. Lui ont néanmoins survécus tous·tes les figurants·es de ce drame familial, que la réalisatrice décide de confronter : la nouvelle femme de son père, sa mère, son ex-mari et sa fille. Elle se rend en premier lieu chez sa belle-mère, qui ne lui répond pas malgré de nombreuses tentatives de prise de contact. Alors que la réalisatrice met tout en œuvre pour poser des mots sur son traumatisme, les spectateurs·ices de la tragédie qu’elle a vécue gardent le silence. Ils l’ignorent dans ce qui s’apparente à de l’indifférence. Accompagnée de ses amis portant caméras et matériel de prise de son, elle force l’entrée de sa belle-mère avec fracas. La colère que déploie Christine Angot dans cette première partie du long-métrage est marquante. Elle exprime à elle seule une réponse insoumise au dédain des siens. Par cette rage assumée, elle crée une nouvelle manière d’être victime.
« Je suis désolée qu’il te soit arrivé ça maman »
A la séquence première dans laquelle règne la colère répond une séquence finale profondément émouvante, dans laquelle la réalisatrice remercie sa fille pour la justesse de ses mots, et leur capacité à lui apporter du soutien. Sa fille se perd dans son discours, qui exprime toute la profonde compassion qui manquait à la belle-mère du début du film. Entre cette introduction amère et cette douce conclusion se déploient des formes de réparation, avec son ex-mari et sa mère, trop désemparés pour avoir pu l’aider mais aussi profondément aimants et aptes à reconnaître leur honte.
Dézinguer le silence
Le documentaire de Christine Angot est loquace : le silence est rare dans l’heure et demie que dure son film, mais c’est à raison puisque son film tente justement de dézinguer le silence autour de l’inceste. Elle dit à un moment « Les gens ne racontent jamais précisément, et c’est une manière de conserver leur honte », ce qui apparait comme une ligne directrice pour ce film qui ose multiplier les mots avec précision pour qu’enfin les choses soient dites. « Une famille » est ainsi un titre bien trouvé pour une histoire aussi intime qu’universelle.
Christine Angot ose ainsi la colère, ose déranger, ose crier. Christine Angot est publiquement moquée, comme le signale un extrait d’émission télévisée. Elle tient bon mais n’est pas infaillible, elle est touchée et même blessée par les railleries qu’elle subit. Ceci est magnifiquement montré par une séquence où les voix de critiques littéraires emplissent son salon et viennent habiter son intimité. Malgré toutes ces embûches, Christine Angot ne s’arrête pas pour autant de créer, depuis plusieurs années, un chemin de croix hors de l’inceste et de son tabou.
Documentaire | 1h 21min | 16/16 ans | Séances les 5 et 6 mai au cinéma d’Oron