Cinéma – The Wonder Way, d’Emmanuelle Antille
Vers les merveilles
L’enfance comme début du voyage
Au début de son documentaire, Emmanuelle Antille part dans l’obscurité, tenant dans sa main une torche émettant une lumière rouge. « Si nos rêves sont plus grands que nos chambres, où nous entrainent-ils ? » interroge-t-elle par une voix-over incarnée, qui parvient à donner corps à l’intimité de sa quête, mais aussi à signifier son ampleur et sa nécessité. Une citation de Foucault amorce alors le voyage. Dans son texte « Les hétérotopies », ce dernier parle entre-autres du rapport aux espaces cachés de l’enfance : « Ces contre-espaces, ces utopies localisées, les enfants les connaissent parfaitement ». Pour entamer son parcours, la réalisatrice commence dès lors par se replonger dans le point de départ de ce dernier : l’univers pionnier et initial d’une enfance passée à explorer le merveilleux au fond du jardin de sa grand-mère Emilie.
Retournant dans cet espace vert, elle retrace le parcours d’initiation à l’observation que lui a offert son aïeule. Cette dernière a en effet laissé à sa petite fille des traces matérielles de ses regards posés tout au long de sa vie : en 1006 dessins de fleurs et 52 cahiers, Emilie a restitué son rapport singulier à cet univers que la réalisatrice nomme royaume. Emmanuelle Antille s’empare de cet héritage, décalque les mots de cette femme qui l’a marquée comme pour se fondre dans la posture de celle que l’observation a gardé en vie jusqu’à son dernier souffle. Partant de ce baptême initial pour la recherche du merveilleux, la réalisatrice se met en quête d’autres espaces, allant des fins fonds d’un désert américain au studio son de Christian Pahud en territoire vaudois : les merveilles à dénicher semblent ainsi éparpillées aux quatre coins du globe, ne demandant qu’à être réunies en un film qui leur donne la place qu’elles méritent.
De la nécessité du lien pour explorer
Si la quête d’Emmanuelle Antille apparait comme intime, elle n’est pas pour autant solitaire. Le voyage qu’elle propose au public de son film est un itinéraire ponctué par des liens qui permettent la découverte de regards singuliers sur le monde. Les divers artistes ou scientifiques filmés dans le long-métrage viennent ainsi comme se substituer à la figure initiale de l’aïeule, pour accompagner la réalisatrice dans sa quête. Le premier est Randlett King Lawrence, un décor de cinéma américain ayant créé une fantasmagorie à grande échelle. La caméra le suit de dos alors qu’il déambule dans son quartier, s’extasiant çà et là sur la végétation. Il entraîne le film dans son univers en nous intimant à observer avec frénésie le décor qu’il habite : l’importance de la végétation pour ce premier protagoniste rappelle inévitablement la fascination de la grand-mère de la réalisatrice pour ses plantes. Tout se passe dès lors comme si Emmanuelle Antille avait retrouvé l’émerveillement de l’enseignement de sa grand-mère dans de nombreuses figures presque parentales qui lui permettent de partager leurs regards singuliers sur le monde. Du fond du jardin au lointain, au désert américain, l’aïeule figure ainsi comme la protagoniste fondamentale quoique invisible de The Wonder Way.
Des images pour chambouler l’espace
Les images de The Wonder Way, co-signées par Jules Guarneri, Sayaka Mizuno et Carmen Jaquier renversent le monde tangible par des effets de distorsion. Outre les moments plus traditionnels d’interview, le documentaire transforme la réalité en mettant en image pleins de déformations possibles de cette dernière. Alors que l’un des protagonistes parle du fonctionnement de l’œil humain, la caméra filme au travers d’un globe de verre un monde retourné. Par ces diverses distorsions, l’espace que questionne le film se révèle sous tous ses aspects les plus subversifs.
Vers les merveilles
Si Foucault énonce qu’il y a des territoires visibles sur aucune carte, comme le relaie la voix-over, le film s’attelle à restituer les coordonnées géographiques des lieux visités, sans nommer les lieux par leurs régions ou leur pays comme cela pourrait être fait traditionnellement. Par les numéros cryptiques présents dans le bord-cadre en amorce de la découverte d’un nouveau lieu, le film illustre l’aspect abstrait de la géographie. Les chiffres apparaissent ainsi comme un code secret d’explorateur, ouvrant les portes du merveilleux à qui sait s’en emparer. Le film fonctionne ainsi comme le journal de bord touffu accompagnant un parcours vers le sublime.
Collectés en un documentaire, les lieux visités apparaissent comme des étapes d’un questionnement infini. Car la quête du merveilleux est sans borne, à l’image de ce qu’exprime Charles Ross, le créateur du Star Axis concernant sa construction : « it’s been 45 years and we’re still not finished » (Ça fait 45 ans, et nous n’avons toujours pas fini). Après la visite des lieux, il retire ses lunettes de soleil pour révéler ses yeux en quête de merveilleux.
The Wonder Way, un documentaire d’Emmanuelle Antille
Suisse, 2023, 95’, Vost.fr, 16/16 ans
Sortie au Cinéma d’Oron le 6 mars
Première en présence de la réalisatrice Emmanuelle Antille,
le vendredi 8 mars, à 20h