Cinéma – Saint Omer, d’Alice Diop
Zone d’ombre de la maternité
Le film d’Alice Diop s’inspire du procès de Fabienne Kabou ayant eu lieu il y a six ans à Saint Omer pour brosser le portrait d’un tabou sombre lié à la maternité: celui de l’infanticide.

La fascination a ses raisons
Rama est professeur de littérature et romancière. C’est avec l’aplomb de sa profession qu’on la découvre devant un amphithéâtre d’étudiantes qui l’écoutent attentivement. Le ton grave et le regard droit, elle parle de la sublimation du réel que propose Marguerite Duras dans ses écrits. Outre l’institution, Rama est aussi romancière. Aussi inspirée qu’obsédée par le fait d’actualité qu’est le procès d’une jeune doctorante ayant tué son enfant de quinze mois, elle se rend seule à Saint Omer pour suivre de près son procès. Face à l’intensité de ce qui se joue dans le tribunal, la jeune femme perd pied. Le mystère de sa fascination reste par ailleurs à son comble :
La connait-elle ? a-t-elle fait quelque chose de similaire ? ou subi une telle situation ? Les flashbacks mettent le spectateur sur cette piste en montrant l’enfance de Rama aux côtés d’une mère parfois difficile. Ils se multiplient et interrompent la continuité d’un film qui est sinon particulièrement uniforme au niveau du découpage. La majeure partie du film est en effet constituée par des champs-contrechamps qui cadrent successivement les questions de la juge et les réponses de celle qui reconnait les faits tout en plaidant non coupable.
Fantomatique Rama aux obsessions morbides
La forme de Saint Omer est ainsi étonnante, mais aussi particulièrement captivante. Suspendu aux lèvres de la coupable, incarnée avec un aplomb désarçonnant par Guslagie Malanda, le public observe ses mains s’accrocher à la barre du banc des accusés. Par ce dispositif qui relaie l’obsession de la protagoniste sur le destin de cette jeune femme, les moments hors tribunal prennent de la profondeur. Le mutisme, dont la protagoniste Rama fait preuve, semble faire écho aux mots contraints de celle que l’on interroge en permanence. Le mal-être de Rama est ainsi visible par le jeu lent et subtil de Kayije Kagame, qui se déplace comme un fantôme lorsqu’on la découvre dans sa famille, au début du film. Sa peine à s’exprimer dans un repas de famille où on blablate du quotidien et des prochaines vacances prend ainsi toute sa résonnance par la suite, dans l’observation de son obsession morbide.
L’histoire avec un grand H liée au récit intime
Le film d’Alice Diop lie par ailleurs une histoire globale à un récit intime, puisqu’il raconte un fait d’actualité ayant réellement eut lieu il y a neuf ans à Berck-sur-mer. L’affaire Fabienne Kabou, a réellement occupé la réalisatrice, qui comme sa protagoniste a suivi le procès avec assiduité. Elle raconte ainsi son rapport personnel frisant l’obsession à un drame social ayant secoué la France au moment de son apparition. Le film-procès est ainsi un moyen d’interpréter personnellement un fait d’actualité qui touche une société entière dans ce qu’elle révèle comme angle-mort de la maternité.
« Saint Omer », fiction d’Alice Diop
France, 2022, 122′, VF 16/16 ans
A voir au cinéma d’Oron, lundi 5 et mardi 6 décembre à 20h
Dimanche 6 décembre à 18h et 20h

