Cinéma – Road-trip vers le connu
Retour en Alexandrie, un film de Tamer Ruggli
Sue vit et travaille en Suisse, dans ce qui s’apparente à la campagne genevoise. Après 20 ans d’absence, elle retourne en Egypte, son pays natal, pour faire ses adieux à sa mère. Une histoire de fantômes tout en onirisme donne lieu à ce premier long-métrage du réalisateur suisse et égyptien Tamer Ruggli.
De Genève au Caire
Sue (Nadine Labaki) roule à toute bise dans sa grosse voiture aux plaques genevoises. En fin de consultation dans son cabinet on ne peut plus pimpant, un coup de téléphone vient court-circuiter sa vie en territoire helvétique : sa mère, une grande aristocrate vivant à Alexandrie, a eu une attaque cardiaque. En deux temps trois mouvements, la jeune femme se retrouve en Egypte auprès de sa tante Indji, annonciatrice du bouleversement. Cette dernière a un fort caractère, et est représentée dans toute son excentricité dans son grand appartement luxueux du Caire.
Du Caire à Alexandrie
Sue roule désormais les cheveux au vent dans la décapotable rose bonbon de sa mère, en route pour des retrouvailles qu’elle appréhende. Dans ce road-trip vers le connu, le deuil entame son parcours par la pensée. Retour en Alexandrie est le récit d’une énorme solitude, jamais vraiment filmée comme telle puisque Sue est hantée par le fantôme de sa mère Fairouz (Fanny Ardent). Rares sont ainsi les moments où Sue est vraiment seule dans le cadre. Sa mère apparait dans la vie de sa fille à Genève, et ne la quitte pas jusqu’au désert des derniers adieux. La solitude de la jeune femme, camouflée par la compagnie d’un fantôme, se révèle néanmoins dans cette très belle séquence qui exprime toute la complexité d’un lien résultant de l’obligation d’une mère égyptienne d’avoir des enfants à moitié désirés. Fanny Ardent excelle à incarner le fantôme d’une mère vicieuse et égocentrique, qui n’a de cesse de reprocher à sa fille son comportement.
La réconciliation se fait ainsi, dans Retour en Alexandrie, sans trahir la complexité de la situation. Surtout, elle se fait dans la solitude, puisque Sue s’adresse à un fantôme. Dans la narration originale de ce film se lit ainsi un message sur le rapport au pardon.
D’Alexandrie aux adieux
L’ancien étudiant de l’Ecal Tamer Ruggli raconte une histoire qui lui est proche, puisque le parcours de Sue est librement inspiré de celui de sa mère. Il fait revivre les protagonistes de son enfance, tels que la tante Indji qui semble être portraiturée avec innocence, dans toute sa fantaisie et sa loufoquerie. Bien que filmé de face, on croirait presque la voir en contre-plongée tant le personnage est vu à hauteur d’enfant. La représentation des fantômes va même jusqu’à celle d’un repas de spectres : le dîner des vipères, avec toutes les tantes de la protagoniste toutes plus méchantes les unes que les autres, donne lieu à un drôle d’espace-temps dans lequel déambule Sue. Si se débarrasser des fantômes du passé passe pour la protagoniste par un itinéraire vers son enfance, pour le réalisateur cela se fait sans doute par la création de film à la narration originale.
charlyne.genoud@le-courrier.ch