Adapter ou sceller Lavaux, l’avenir du vignoble aux mains des députés
Trouver un juste milieu entre travail de la vigne et protection paysagère, voici la mission du PAC Lavaux (plan d’affectation cantonal Lavaux). Un dossier qui s’annonce aussi complexe que la topographie des lieux. Explications avant la première session de débats du 5 mars.
Voilà plus de 50 ans que l’on se bat pour la sauvegarde du vignoble en terrasse. D’abord sous l’égide d’Edmond Chollet, ancien syndic de Villette qui tire la sonnette d’alarme en 1962. Sa municipalité refusant d’attribuer un permis de construire pour trois villas au milieu des vignes s’attire les foudres du propriétaire. Si ce rejet était illégal à l’époque, le courage de l’exécutif pose les jalons de la protection du territoire dans la région. Plus tard, le médiatique Franz Weber et le groupement « Sauver Lavaux » marqueront les mémoires en sensibilisant la population à voter pour un plan de protection dans la loi vaudoise.
Entre la LLavaux en vigueur depuis 1979 et l’inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco en 2007, le vignoble en terrasse semble bien protégé. En 2014, la troisième mouture de l’écologiste bâlois « Sauver Lavaux III » souhaite sceller le site de toutes nouvelles constructions. Une initiative jugée trop stricte, qui donnera naissance à un contre-projet accepté le 18 mai 2014 par 68 % de la population : le PAC Lavaux.
Fil à retordre politique
Le dossier qui a permis de gagner face à Franz Weber fête ses dix ans cette année. Un anniversaire qui signe le franchissement d’une nouvelle étape, celle de ses débuts en plénum.
Une des particularités du PAC Lavaux est de toucher aux zones à bâtir hors des périmètres urbains des dix communes concernées, à savoir Bourg-en-Lavaux, Chardonne, Chexbres, Corseaux, Corsier, Jongny, Lutry, Puidoux, Rivaz et Saint-Saphorin. Mais pour décider quelles seront les parcelles constructibles ou non des 1283 hectares que compte le projet, il a été décidé de passer par le Grand Conseil et ses 150 députés. La procédure habituelle veut que ce soit le département cantonal (Direction générale du territoire et du logement DGTL) qui traite le dossier avant de l’envoyer au gouvernement pour validation : « En demandant l’avis des parlementaires, l’objectif de Pierre-Yves Maillard était de mettre tout le monde d’accord » se rappelle Jean-Rémy Chevalley, député PLR et municipal à Puidoux. « Le socialiste qui présidait le Conseil d’Etat en 2016 avait rappelé qu’il était essentiel que les habitants et les travailleurs installés en Lavaux puissent continuer à vivre et gagner leurs vies avec des moyens adaptés. »
Mais demander l’avis à 150 personnes plutôt qu’aux sept que compte le Conseil d’Etat constitue une fausse bonne idée pour certains parlementaires. C’est le cas de la députée UDC Céline Baux : « Nous n’avons pas réellement constaté de grands écarts entre la majorité et la minorité lors des séances de commission. Nous étions face à un combat entre la gauche et la droite. Avec d’un côté, ceux qui ont comme priorité de protéger la biodiversité et le paysage, et de l’autre, ceux qui souhaitent tout d’abord faciliter le travail de la vigne et favoriser l’économie. »
Pour éviter une avalanche de débats au Grand Conseil, une commission ad hoc composée de 17 députés a été nommée afin d’étudier le règlement proposé par le département et de se positionner sur les oppositions issues de la mise à l’enquête. Mais qui dit nouvelle procédure, dit casse-tête politique : « Il a fallu 22 séances de commission qui totalisent 49 heures de travail. Le rapport avec annexes compte 426 pages… du jamais vu au Grand Conseil » confie Florence Gross, députée PLR. « D’autant plus que le dossier est à cheval entre deux législatures et que des membres de la commission ont changé. Au vu du nombre de séances préparatoires, de longues heures de débat sont à venir. Je ne pense pas que cette expérience soit réitérée à l’avenir » déclare l’habitante d’Epesses.
Frustration des opposants
Vous l’aurez compris, le PAC Lavaux est dans les tiroirs des autorités depuis un moment. Pour Jean-François Chapuisat, le risque avec une procédure de cette ampleur est de s’éloigner de son objectif initial : « Il ne faudra pas oublier que ce sont les mains de l’homme qui ont créé Lavaux. La politique doit permettre à ce patrimoine culturel vivant de s’adapter à la vie d’aujourd’hui pour traverser les prochains siècles », rappelle le député Vert’Libéral. Toucher au vignoble en terrasse n’est pas anodin, c’est du moins ce que révèle la mise à l’enquête publique du PAC Lavaux. Ce ne sont pas moins de 160 oppositions qui ont été recueillies à la fin de l’été 2019. Seul bémol, certaines d’entre elles ont été remplies par les députés eux-mêmes. Alors pour éviter des cas de conflits d’intérêts et les recours en justice qui vont avec, un avis de droit s’est immiscé dans la procédure : « La LLavaux a été révisée de sorte à récuser les deux députés qui sont propriétaires et qui ont déposé une opposition », indique Maurice Neyroud, vigneron à Chardonne. Pour ce député PLR qui suit le dossier depuis ses débuts, la frustration est palpable : « Il ne sera pas simple d’être présent sans pouvoir prendre la parole. D’autant plus que mon opposition ne représente pas de réel conflit d’intérêts. J’ai moins d’intérêt à m’exprimer sur le PAC qu’un député enseignant se prononçant sur le salaire des profs ». Du côté d’Epesses, le discours est similaire : « Il faut adapter le métier pour assurer notre succession. Car un vignoble en terrasse sans vigneron finit inévitablement par s’écrouler, comme cela est le cas dans la région des Cinque Terre en Italie », prévient le député Vert Pierre Fonjallaz.
Chez les opposants, on retrouve bien évidemment des propriétaires de parcelles et des tiers, mais également des communes. Concernant les oppositions qui avaient beaucoup de similitudes entre elles d’une commune à l’autre, elles ont été traitées par la CIL « commission intercommunale de Lavaux » qui a déposé ces oppositions au nom des 10 communes membres, ladite commission s’est fortement impliquée pour expliquer les oppositions et pour présenter la réalité de ce qu’est Lavaux précise Jean-Rémy Chevalley. Interviewé à chaud, le municipal de Puidoux sortait justement d’une rencontre de la CIL : « Le but du rendez-vous de ce matin était de définir où des assouplissements sont possibles. Mais il ne faut pas rêver, lors des débats du Grand Conseil, le combat gauche-droite sera omniprésent. Les votes des Vert ’libéraux pèseront lourd dans la balance ».
Si les politiques ne doivent pas perdre de vue la mission première du PAC Lavaux, les députés chargés d’adopter le PAC Lavaux devront se souvenir de leur rôle : « La population a voté en 2014 pour que l’on verrouille la vigne par un plan d’affectation, le reste appartient à la gestion des communes. C’est aussi simple que ça », rappelle Maurice Neyroud avec entrain.
Actuellement, les communes de tout le canton révisent leurs plans d’affectation (une procédure qui s’exécute tous les 15 ans) afin d’être conformes à la Loi sur l’aménagement du territoire (LAT). La tendance est à la densification plutôt qu’à l’étalement urbain. Une grande partie d’entre elles doivent réduire leurs zones à bâtir pour les quinze prochaines années. « Mais en cas de fort développement démographique par exemple, il sera possible de rouvrir ces zones. Ce qui n’est pas le cas pour les parcelles à l’intérieur du PAC, Il faudrait pour ceci modifier à nouveau la loi et recommencer toute la procédure jusqu’à l’adoption par le Grand Conseil, ce qui parait inimaginable. »
Qu’est-ce qui pourrait changer ?
Le jour où le PAC Lavaux devient réalité, du moins dans sa version actuelle, plusieurs assouplissements sont prévus. On note par exemple une procédure facilitée pour la suppression des épondes (murs de pierres perpendiculaires aux rives du lac) afin de simplifier le travail de la vigne et le passage de petites machines. D’autres cultures pourraient aussi se mélanger au raisin, car l’obligation de faire pousser uniquement de la vigne ne sera plus impérative. Il sera également possible d’agrandir les capites (de 9m2 à 12 m2) dans le but d’entreposer du matériel ou de promotion : « La vente de vin ne sera pas
possible, puisque la LAT l’interdit. En effet les articles 16 et 16a LAT autorisent la dégustation gratuite, sans installation de terrasse, ou la vente de panier dégustation à l’emporter, mais en aucun cas l’installation de points de vente. La commercialisation et la promotion de vin sont en revanche autorisées dans les centres d’exploitation », détaille la députée PS Muriel Thalmann.
La suite de la procédure pourrait bien s’étaler sur plusieurs millésimes : « Les modifications du PAC décidées par le Grand Conseil devront passer par une enquête complémentaire. Ce qui aura pour conséquence d’ouvrir la porte à de nouvelles oppositions qui devront être traitées au Grand Conseil. Sans oublier les éventuels recours au Tribunal cantonal, voire même au Tribunal fédéral, qui devra statuer. On n’a pas fini de s’amuser ! D’autant plus que la voix du référendum est monnaie courante », rigole Maurice Neyroud. Si la première séance de débats du 5 mars permettra de prendre quelque peu la température pour le futur de ce dossier, une chose est certaine : le PAC Lavaux promet encore de longues discussions dans les caveaux.
Un plan d’affectation, c’est quoi ?
L’objectif d’un plan d’affectation cantonal ou communal est de délimiter un périmètre et de définir l’affectation des zones (à bâtir, agricole, forestière, protégée, etc) qui forme ce dernier. Une procédure qui doit être révisée tous les 15 ans. Les 300 communes vaudoises fixent actuellement leurs plans d’affectation.