Cinéma – Ma vie, Ma gueule
de Sophie Fillières
L’ultime film de la réalisatrice française Sophie Fillières décédée l’année passée parle avec beaucoup de tendresse de Barberie Bichette (Agnès Jaoui) une femme de cinquante-cinq ans, aussi fantasque qu’en crise existentielle.
Une terre à soi
En une heure et demi de récit, Barberie Bichette interagit avec : un coach de sport, son psy, ses enfants, Philippe Katerine, ses collègues, sa sœur, une créatrice de bijoux, une femme dans le bus, deux filles qui viennent lui demander de l’argent, un amour d’enfance qui ressurgit dans un institut suédois, des médecins et des infirmières, un scout, un serveur, sa correspondante anglaise d’adolescence, un magicien dans un café, une vendeuse de titre en Ecosse, et surtout beaucoup avec elle-même, dans des miroirs notamment. Par l’alternance d’adresse à elle-même et à un panel de personnages variés, « Ma vie, ma gueule » dresse le portrait d’une femme qui chemine seule tout en trouvant des interlocuteurs·ices partout où elle se rend. Si certains tels que le drôle de personnage planant de Philippe Katerine semblent tout droit sortis de son imagination, tous fonctionnent comme des miroirs de son évolution. Bichette est en effet en perte de raison de vivre dans « Ma vie, ma gueule », fréquemment malmenée par son entourage jusqu’à trouver un lieu à elle, à l’image d’ « une chambre à soi » de Virginia Woolf.
Parler seule
L’histoire de cette femme qui va mal puis s’apaise est amenée avec beaucoup d’humour, notamment grâce à des dialogues d’une créativité sans borne. Barberie Bichette n’hésite ainsi pas à exprimer haut et fort toutes les idées fantasques qui lui passent par la tête, quitte à décontenancer les autres personnages, souvent uniquement de passage dans le long-métrage. Elle est ainsi caractérisée par sa place dans un système qui la néglige, mais aussi par sa solitude qu’elle ne vit pas forcément mal. « Je parle toute seule, ça me rassure. Avant quand ça m’échappait ça m’inquiétait, maintenant plus ». Barberie vit dans des images et des formulations ou des poèmes loufoques, retombe sur terre lorsqu’elle comprend qu’un certain lac à la forme d’un « n » minuscule à l’envers. Sa créativité régale et fait rire, magnifiquement incarnée par une Agnès Jaoui aux visages multiples, pour un résultat aussi comique que tragique.
Adieux au ferry
Le lien de Barberie à ses enfants d’abord indifférents puis réconciliés émeut, notamment lors d’une très belle scène d’adieu où la mère part seule en vacances en Angleterre. A quai, ils sautent et crient au revoir, sur son ferry en direction de Portsmouth, elle tente de se rendre visible, s’inquiète à voix haute qu’ils ne la voient pas. Une scène d’autant plus touchante sachant que ce dernier long-métrage de Sophie Fillières est le plus autobiographique de sa filmographie, et qu’elle l’a tourné juste avant de perdre la vie, emportée par la maladie en juillet 2023.
« Ma vie, ma gueule » fiction de Sophie Fillières
Suisse, 2024, 99’, VF, 16/16 ans
A voir au cinéma d’Oron ou au cinéma CityClub de Pully