Cinéma – Le théorème de Marguerite, de Anna Novion
Sorti au cinéma d’Oron, le mercredi 15 novembre
L’actrice franco-suisse Ella Rumpf interprète avec conviction Marguerite, une jeune femme dévouant sa vie aux mathématiques. Arrivant au terme de son doctorat, ses convictions s’effondrent néanmoins face à un imprévu qui marque le début d’un parcours initiatique que le film capture.

Ne souffrir d’aucun sentiment
Pour Marguerite, tout s’effondre lorsque son directeur de thèse engage un autre doctorant, qui trouve dans le projet de recherche de la jeune femme, une erreur invalidant toute sa résolution de la conjecture de Goldbach. Anna Novion exploite ainsi tout le potentiel tragi-comique de la recherche scientifique, notamment l’aliénation et l’isolement mais aussi le génie et la passsion que le milieu comporte souvent. L’école Nationale Supérieure, décor dans un premier temps du portrait de ce petit monde de chercheurs (avant d’être remplacée par l’université de Lausanne !), est ainsi dépeinte dans tout ce qu’elle a de plus claustrophobique : fermée sur elle-même, l’enceinte de l’école est à la fois le lieu des études de Marguerite, mais aussi l’endroit où elle dort, mange, au point que le monde extérieur ne semble pas exister dans sa vie. C’est aussi semble-t-il la seule source de lien de cette jeune chercheuse, puisque outre quelques coups de téléphone à sa mère, Marguerite ne parle à personne qui n’est pas dans son école, et même dans ce cadre, les échanges se font rares. L’ENS est ainsi un huis-clos dans lequel toutes et tous se dévouent à la passion des mathématiques, dans lequel règne la phrase du mentor de marguerite « les mathématiques ne doivent souffrir d’aucun sentiment ».
Le Mah-jong post abandon
Seulement lorsque le jeune premier tout droit venu d’Harvard pointe sous le nez de Marguerite une erreur que son mentor aurait dû repérer, les sentiments de Marguerite éclatent devant une assemblée non empathique au possible. La démission qui découle de ce moment d’humiliation marque le début d’un récit initiatique aussi drôle que touchant, tant Marguerite est en décalage avec les gens de son âge. L’abandon de sa thèse la pousse en effet à trouver un autre logement et à jouer au mah-jong dans des arrière-boutiques louches pour gagner sa vie. Ce moment de trahison du milieu qui était jusqu’alors le sien la pousse à abandonner son mentor (interprété par un très surprenant Jean-Pierre Darroussin) et à devenir la superviseuse de son propre travail.
Par son incursion dans le milieu de la recherche comme dans celui du Mah-jong, le film de Novion parle d’une jeune femme se débattant dans un monde d’hommes. Elle rend en effet très visible la non-parité des écoles telles que l’ENS, en emplissant son cadre de mâles compétitifs. En opposition totale, elle place ensuite sa protagoniste dans un monde de femmes devant remplir des sondages que Marguerite juge truqués. La jeune femme n’hésite ainsi pas à envoyer bouler cet univers et rencontre par la même occasion sa nouvelle meilleure amie, qui l’aide à s’émanciper. Dans chacun de ces univers genrés, Marguerite apparait en décalage, tragiquement autre que ce qui est attendu d’elle et en même temps par là même beaucoup plus intéressante. Ayant évolué jusqu’alors dans ce monde d’hommes, Marguerite en garde les codes. Lorsqu’elle se décide à avoir un orgasme pour faire comme sa colocataire, elle suit un jeune homme dans une rue de manière saugrenue, donnant à la scène sa dose de gêne et d’humour. Outre cette scène, la protagoniste ne cesse d’être drôle et attachante par sa non-adoption des codes.
Les rencontres sur le chemin de l’initiation
L’effondrement de ses croyances laisse ainsi la place à la rencontre : sous les pieds de cette chercheuse enfermée dans ses mathématiques s’ouvre un monde nouveau, et elle le découvre comme si elle ne l’avait jusqu’alors pas approché. Le parcours initiatique est ainsi juché de rencontres émancipatrices : le rival que rencontre Marguerite devient un allié de taille face à la hiérarchie.
C’est ainsi par le contact au vrai monde que sa recherche semble se réactiver, par les combinatoires qui régissent le mah-jong que Marguerite semble ressentir encore plus fort son attachement aux mathématiques, dans une scène touchante où les pièces du jeu se transforment en formules. Anna Novion parvient en outre à filmer les mathématiques comme on filmerait l’œuvre d’une artiste emplissant rapidement des ardoises de formules cryptiques. Avec l’aide de Ariane Mezard, professeure à l’ENS, ayant endossé le rôle de conseillère en mathématiques pour le film, Anna Novion a tenté de rendre la recherche réelle au point d’entamer de résoudre la conjecture de Goldbach, réellement insoluble jusqu’à aujourd’hui. Le film semble dès lors parvenir à rendre les mathématiques accessibles et fascinants au grand public, tout en pouvant intéresser un public d’initié.e.s.

Le théorème de Marguerite, fiction d’ Anna Novion
France, 2023, 100’, VF, 16/16 ans