Cinéma – La passagère de Héloïse Pelloquet
Au cinéma d’Oron les 1er et 4 avril
Le premier long-métrage de la réalisatrice française, diplômée de la Femis en section montage, prend pour décor une île de pêcheur sur l’Atlantique, et y place un couple de travailleurs heureux, dont le quotidien est chamboulé par l’arrivée d’un nouvel apprenti.
Envies transitoires
Chiara est heureuse, rayonnante et drôle, entourée d’un mari qui l’aime et d’une communauté au sein de laquelle son mari a grandi et où elle a su trouver un équilibre à son tour. Lorsque déboule un nouvel apprenti, qu’ils sont chargés de former comme marin-pêcheur, l’attirance qu’elle ressent pour lui chamboule cette harmonie qui semble être le résultat d’un grand travail d’adaptation. En effet, La passagère est l’histoire d’une voyageuse qui travaille sur un bateau qui n’est pas vraiment le sien, mais sur lequel elle navigue avec plaisir. Un quotidien qu’elle adopte par adaptation, jusqu’à ce qu’il ne convienne plus à ses pulsions. De manière simple et limpide, le film dépeint ainsi comment nos envies sont transitoires, changent et méritent qu’on les respecte.
Le chemin de la mer
Si ses désirs et instincts font opérer à Chiara un virage à 90 degrés, elle n’est cependant pas pour autant un personnage immoral, et ne sera jamais dépeinte comme telle par un film qui se veut justement amoral : il s’agit ici de parler d’une femme qui a le courage de déplaire sans être pour autant une égoïste radicale. Cette sorte de fable polyamoureuse qui ne se présente en réalité pas ainsi, illustre que l’on peut aimer deux personnes à la fois, de manière différente et sans vouloir faire du mal autour de soi. Le dénouement ne prend dès lors pas les aspects typiques du mélodrame. On ne crie pas dans La passagère mais on prend la mer pour continuer son bout de chemin. Le film accepte ainsi la réalité d’un personnage droit quant à son code de conduite personnel, quoiqu’amoral du point de vue des autres.
Discours de femmes
Chiara allie la gentillesse et l’honnêteté au point de faire toujours ce qu’elle veut, de répliquer sauvagement « je mange pas les trucs qui puent » à celui qui lui propose un en-cas, tout en souriant tendrement à cette même personne. Un personnage qui vaut le détour et qui fascine en prenant le contre-pied de nombreuses représentations féminines usuelles. Devenue marin pêcheur pour accompagner son mari dans son métier, elle s’est en même temps adaptée à un monde d’homme, dans lequel règnent leurs règles, ce qu’elle découvrira à grand frais. A l’occasion d’un mariage, une très belle séquence donne la parole aux femmes de l’île, qui font tour à tour des discours. Ce choix de mise en scène permet de montrer la charge émotionnelle de ces femmes qui s’adaptent, et qui l’expriment la larme à l’œil quoique joyeuses devant le petit public alcoolisé que forment les invités de l’événement. Ce que l’on entend aussi, à travers cette très belle séquence de discours qui pose les personnages, c’est l’affection que se portent les personnages au sein de la communauté de l’île, au point qu’ils s’apparentent à une petite famille. Le décor insulaire fait s’approcher la passagère d’un huis clos, propice au déroulement du drame familial qui va suivre. Les allers-venues sur l’île inaugurent et clôturent ainsi l’histoire de ce décor où règne le travail, et la loi des hommes.
« La passagère » fiction d’Héloïse Pelloquet, France, 2022, 95′, VF, 16/16 ans