Cinéma – Festival de Cannes
Suite et fin en musique

Charlyne Genoud | Le jury des longs métrages, présidé par Spike Lee, a rendu son verdict samedi passé. Le film d’horreur Titane a remporté une palme d’or controversée. Annette, le film d’ouverture qui a beaucoup fait parler de lui puisqu’il était aussi en compétition a, quant à lui, été distingué par le prix de la mise en scène. Revenons, pour conclure cette 74e édition du festival de Cannes, sur le film qui l’a entamée; Annette de Leos Carax, sorti en salles (notamment au Pathé) depuis sa première à Cannes. Retour sur une comédie musicale originale et riche, à l’image de cette 74e édition du festival de Cannes.
Elle chante, il fait rire
Annette est l’histoire d’un couple de célébrités; elle est cantatrice, lui est stand-upper. Elle chante sa mort, il tente de faire rire. Lorsque les rires se transforment en insultes commence cependant la dégringolade du couple, et de la vie de leur petite fille Annette, incarnée par une marionnette dans le film éponyme. A l’image de ce choix audacieux, Annette combine les éléments formels pour faire de cette histoire simple et convenue une grande aventure pour son spectateur ou sa spectatrice, que ni les deux heures vingt d’images, ni les quarante chansons ne risquent de lasser.

Hold your breath
Tout commence sur un écran noir, et la voix du réalisateur qui nous prévient « You are now kindly requested to keep silent and to hold your breath until the very end of the show. Breathing will not be tolerated during the show ». Ces deux phrases introductives nous orientent de deux manières : d’abord, elles nous mettent sur la voie d’un film qui brouille les codes, l’adresse au spectateur-trice étant une rupture avec les codes de l’invisibilité du dispositif cinématographique. Arrêter de respirer; d’une certaine manière, de cesser d’habiter nos corps de spectateurs-trices. Il s’agit de s’immerger dans ce film qui, s’il accroche son public dès ces premiers instants, ne le fait pas sans le pointer directement ou sans le prendre en compte. Car cette première forme d’introduction est suivie d’un plan-séquence au sein duquel est chanté à répétition « May we start ». La forme musicale, qui sera presque exclusivement celle du film, est ainsi introduite en même temps que le récit en lui-même. Des sortes de scènes d’exposition, ensuite, montrent les deux protagonistes Ann (Marion Cotillard) et Henry (Adam Driver) sur leurs scènes respectives. Ces instants permettent de thématiser l’aspect « show » déjà mentionné par la voix-over du réalisateur dans les premières secondes du film, fonctionnant ainsi comme une mise en abîme explicite du jeu d’acteur. Mais ils permettent aussi de donner une raison à ces personnages de se raconter, ce qui rend l’immersion d’autant plus fluide. Le spectateur-trice d’Annette est ainsi amené par le personnage dans l’histoire parce qu’il a été doublement mis dans une posture de spectateur-trice; d’abord dans la salle de cinéma où il se trouve réellement, ensuite dans la salle de spectacle que montre le film, et qui justifie que Henry raconte qui il est.

Silence
Les quarante chansons - tout comme l’histoire originale - imaginées par les Sparks varient en style et en longueur, évitant de ce fait toute indigestion, même pour les plus récalcitrant(e)s au genre de la comédie musicale. Au-delà de l’apport évident de ces séquences musicales, elles semblent symboliquement fonctionner main dans la main avec un propos sur la voix présent tout au long du film. Puisqu’il s’agit de stars adulées et suivies en permanence, comme en témoignent les plans de talkshows américains racontant la vie d’Ann et d’Henry à de nombreuses reprises pour faire avancer le récit (notons au passage que cette forme d’écran dans l’écran est aussi présente par des plans de caméra surveillance, rendant le visuel d’Annette toujours renouvelé et surprenant), il s’agit de personnes écoutées, médiatisées, dans le sens où leurs propos sont relayés et commentés en permanence. Même leur silence font du bruit, un élément par ailleurs cher au réalisateur. La séquence finale, révélant le personnage de Henry déchu, souligne ainsi ceci en prenant place dans une salle aux murs peints de cinq lettres capitales; « QUIET ». Un paramètre intéressant, puisque ce silence, le réalisateur l’a gardé neuf ans, son dernier film Holy Motors datant de 2012. Ce lien au silence, qui rappelle par ailleurs celui du festival de Cannes de l’année passée (qui a uniquement publié une liste des films sélectionnés), a fait de ce film un joli moyen de représenter la voix reprise cette année sur la Côte d’Azur par le cinéma, un film porte-voix sur la médiatisation, le fait d’être parents, et de beaucoup d’autres choses encore car il semble que personne - à en lire les très nombreux articles qui traitent d’Annette - ne puisse vraiment trancher sur le sujet d’un film aussi riche, tant visuellement que narrativement. Pour reprendre les propos de Julia Ducourneau, détentrice de la palme d’or pour Titane, « Merci au jury d’appeler à plus de diversité dans nos expériences de cinéma et dans nos vies » !
Annette, (Leos Carax, 2021). 140’