Cinéma – EAT the NIGHT
Connexion impossible
Connus pour leurs films qui explorent des formes variées telles que le jeu vidéo au cinéma (« Jessica Forever », 2018) ou encore la CGI – ils présentaient cette année le court-métrage « La fille qui explose » à Locarno, le duo de cinéaste sort cette année un long-métrage tragique qui saute sans cesse du virtuel au réel afin de faire co-exister ces univers à valeur égale.
Un serveur comme refuge
Pablo (Théo Cholbi) et Apolline (Lila Gueneau), un frère et une sœur délaissés par leur père, vivent ensemble dans une petite maison du Havre. Alors que la ville du nord de la France est dépeinte comme un territoire prisé pour la vente de drogue, et de ce fait comme le décor de beaucoup de violence, Pablo et Apolline s’incarnent virtuellement dans le jeu vidéo DARKNOON depuis des années. Dans ce monde parallèle, ils partagent de nombreux souvenirs, beaucoup de complicité et un sentiment de sécurité : le serveur est leur refuge et l’espace qui les relie.
La tragédie classique en jeu vidéo
Le jeu vidéo comme la réalité physique qui les entoure sont des environnements violents, mais de manières différentes. « Eat the night » met ainsi en parallèle ces types de violence : d’une part celle du jeu virtuel, qui n’est jamais fatale, et d’autre part celle du monde, qui peut vite le devenir. Ce faisant, il illustre le jeu vidéo par son aspect cathartique, à la manière d’une tragédie grecque que la forme du film semble par ailleurs imiter. Le ton tragique de « Eat the Night » est lancé lorsque Pablo et Apolline apprennent que le serveur de DARKNOON va être désactivé un mois plus tard. Le compte à rebours est lancé, le film suit ensuite son rythme angoissant jusqu’à arriver à son terrible final. Outre le fil narratif du jeu vidéo en voie de disparition, Pablo rencontre l’âme sœur, Night (Erwan Kepoa Falé), avec qui il vend de la drogue. Leur passion se voit rapidement menacée par la colère de la bande rivale qui n’apprécie pas la concurrence de deal sur son territoire.
Connexions impossibles multiples
Caroline Poggi et Jonathan Vinel font fortement exister le monde virtuel de DARKNOON afin de mieux faire ressentir la violence de sa disparition. La « connexion impossible » au serveur en fin de film est ainsi relayée dans les autres fils narratifs du film, ce qui amplifie un sentiment de tragique total. Lorsqu’ils parlent de leur film, les cinéastes parlent d’une forme hybride, qui cherche à créer des ponts entre deux mondes. Ils filment ainsi la réalité sociale du Havre, en parallèle du monde virtuel du jeu qui n’obéit pas aux mêmes règles. Les sauts d’un monde à l’autre permettent de saisir leur personnage d’une manière inédite. Le jeu est ainsi comme une marge, un hors-champ rendu visible et une manière de mettre en abyme l’histoire tragique de personnages qui s’apprêtent à disparaitre. L’impossibilité d’être ensemble face à des destins tragiques et à la violence qui menace sans cesse leur existence.
« Eat the Night » de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, France, 2024, 1h46
À voir au Cinématographe. Séance spéciale en présence des réalisateurs.ices,
le vendredi 30 août à 20h30