Cinéma – “C’est pas moi” de Leos Carax
Dans le cadre d’un projet d’exposition, le Centre Pompidou avait proposé à
Leos Carax de répondre par un film à la question « Où en êtes-vous ? ».
L’exposition annulée, le film de commande s’est transformé en un moyen-métrage personnel, monté, démonté et remonté par le réalisateur lui-même.
Circuler entre les images collées
Au début de sa réponse de quarante-deux minutes à la question pompidolienne, Carax commence par dire d’où il vient. Les images contenant des visages défilent, et sa voix-over court-circuite les vues. Voulant présenter son père, il murmure de sa voix grave : « c’est lui, non pas lui, lui là, oui lui ». Des affirmations infirmées aussi vite qu’elles sont prononcées qui retirent rapidement aux mots leur pouvoir décisionnaire. Dès cette introduction programmatique, il s’agit de se laisser aller dans le fleuve Carax, qui nous mène parfois en bateau pour mieux nous faire circuler entre les images collées. Car c’est bien d’un collage dont il s’agit : le réalisateur de Mauvais sang et de Les Amants du Pont-neuf replace côte à côte des images de presse appartenant déjà à notre imaginaire collectif et des séquences de ses films. Ces dernières surgissent, comme replacées soudainement dans le foisonnement d’idées et d’images qui les a rendues possibles. A l’image de ce qu’il exprimait à Locarno en 2012, C’est pas moi illustre que si le moteur de l’œuvre de Carax est le cinéma, la vie en est le carburant.
Pas de beauté sans grain
Malgré le rythme soutenu et l’apparente spontanéité de la déambulation dans sa tête, Leos Carax ne manque pas d’organiser son récit en chapitres qui permettent de développer ses idées, voire d’en proposer des démonstrations. En conteur fascinant, il narre l’histoire d’un grain de beauté pour conclure qu’ « il n’y a pas de beauté sans grain », créant un lien entre le travail de l’image et le visage de Marilyn Monroe. Imbriqué dans des réflexions sur le monde dans lequel nous vivons, le cinéma apparait ainsi dans des développements singuliers. Une image de pomme donne lieu à une explication qui semble affiliée à la phrase de Godard « le cinéma c’est 24 fois la vérité par seconde ». L’importance de cligner des yeux est abordée comme un moyen de résistance à l’accélération du monde. Le foisonnement est ainsi contenu dans le moyen-métrage, espace-temps inextensible que la voix-over rappelle soudainement, en plein voyage : « attention, comme il arrive souvent, le temps passe ». Carax signe ainsi un film très godardien (de sa forme cousine de Lettre à Freddy Buache, à la citation directe du maître) qui foisonne d’inspiration.
Charlyne Genoud
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