Cinéma – Big little women, de Nadia Fares :
tenter de créer un miroir entre l’Orient et l’Occident
Avec son premier long métrage documentaire, la réalisatrice suisse et égyptienne effleure la question complexe de l’amour que l’on peut avoir pour son père, malgré ce qu’il représente en termes de domination patriarcale.

Un récit intime
Le film de Nadia Fares est d’abord une lettre à son père égyptien décédé, rétablissant la vérité d’une histoire familiale complexe. Par sa voix-over qui s’adresse à ce dernier, posée sur des images d’archive, elle précise ainsi le racisme et la manipulation qu’a subi son père lorsque son grand-père maternel suisse l’a fait expulsé du pays pour que sa fille marie un local. Nadia Fares, fruit de ces amours helvético-égyptiennes, est ainsi le rejeton d’une histoire qu’une famille suisse dans les années soixante ne pouvait cautionner. Par son film, comme par son choix de retourner auprès de son père une fois l’âge de la majorité atteint, elle vient ainsi contrer le racisme de ses aïeuls suisse-allemands.
Sillonner Le Caire à vélo
Néanmoins, le film ne se contente pas de suivre cette passionnante voie du récit intime et épistolaire, mais multiplie les axes, en y ajoutant les récits de Nawal El Saadawi, pionnière du féminisme dans tout le Moyen Orient. Si ses prises de parole amènent un contexte passionnant sur la condition des femmes en Egypte, elles grossissent aussi le propos. S’ajoutent à ces interviews face caméra captivantes mais simples par leur forme le suivi de trois jeunes femmes sillonnant à vélo les quartiers en voie de développement du Caire, dans lesquels les femmes n’ont pas leur mot à dire face à leurs maris. Là encore, le sujet est passionnant, mais aurait mérité un film à part entière. Aux images d’archive, aux interviews face caméra et aux travellings suivant ce trio à vélo s’ajoute des reconstitutions très mises en scène et aux images presque hollywoodiennes de la réalisatrice en taxi en Egypte, ou à un enterrement reconstitué de son père, qui apparaissent comme la couche de trop d’un film qui se disperse.
Effet miroir dispersé
Le projet qui sous-tend cette multiplication de points de vue est néanmoins intéressant : pour Nadia Fares, il s’agit de narrer avec Nawal El Saadawi la génération de lutte féministe qui la précède, et avec les trois jeunes filles celle qui lui succède. Le tout est adressé à son père, comme pour lui expliquer sa propre lutte. On peine néanmoins à relier le récit intime, qui parle certes du mariage de sa mère, mais aussi d’amour impossible, de racisme et de la Suisse à cet axe resserré de la condition des femmes en Egypte. L’effet miroir entre l’Orient et l’Occident qu’elle veut rendre visible au sujet du patriarcat ne se laisse pas lire, puisqu’il y a d’un côté le récit autobiographique, et de l’autre des pionnières du féminisme qui raconte des faits globaux.
BIG LITTLE WOMEN Documentaire de Nadia Fares, Suisse, 2022
86’ – Vostfr, 12/12 ans
A voir au Cinéma d’Oron dès le mercredi 18 octobre