Cinéma – « A Chiara » de Jonas Carpignano
Charlyne Genoud | Venant conclure le triptyque du réalisateur Jonas Capignano se focalisant sur la ville de Gaioia Tauro du Sud de l’Italie, A Chiara portraiturise la violence intériorisée par le personnage principal de Chiara, âgée d’une quinzaine d’années et en quête de vérité au sujet de son père.
Appartenir
Filmé avec beaucoup de proximité, la famille qu’approche A Chiara n’est pas précisément caractérisée dans le synopsis fréquemment donné du film : « Chiara, 16 ans, vit dans une petite ville de Calabre. Claudio, son père, part sans laisser de trace. Elle décide alors de mener l’enquête pour le retrouver ». Laissant le flou planer quant au milieu auquel la famille appartient, le long-métrage place ainsi son public sur un pied d’égalité avec sa protagoniste. Cette dernière émerge tout juste du monde de l’enfance, fréquemment synonyme d’indistinct sentiment d’appartenance.
Le silence des adultes
Il s’agit ainsi lors des premières minutes du film de filmer de près les embrouilles quotidiennes d’une petite fratrie, qui permettent d’introduire le personnage principal. La caméra bouge avec les disputes ; elle semblerait presque être portée à bout de bras par l’un·e des membres de la famille. Les plans s’enchaînent ainsi jusqu’à l’anniversaire de la sœur aînée de Chiara, entrant avant cette dernière dans le monde des adultes fait de responsabilités morales implicites et discrètes, mais non moins lourdes et étouffantes. C’est en fait l’histoire d’une communauté au sein de laquelle les femmes adultes savent et s’adaptent, une communauté que seul le silence peut préserver. Cet aspect sonore est particulièrement bien restitué dans le film qui nous occupe. A l’image d’autres éléments métaphorisés ou brillamment imagés, le bruit et son indistinction sont mis en scène à de nombreuses reprises dans des lieux où la parole menace.
Rite de passage
Cette menace, c’est celle qui vise l’économie souterraine dont bénéficie le milieu de Chiara. La violence reste hors-champ dans ce film, ce qui permet de se focaliser sur son intériorisation par la protagoniste. Il s’agit ainsi d’un portrait intime, tout en étant le portrait d’une communauté. La violence d’un milieu est ainsi dépeinte par les traces qu’elle laisse sur les êtres en train de devenir adulte. Le périple qu’entame Chiara en quête de vérité sur le compte de son père est ainsi un récit initiatique ; un rite de passage détourné et mis en échec.
Cinéma d’Oron : les vendredi 22 et samedi 23 avril, à 20h et dimanche 24 avril, à 16h
Tirer le portrait de Gaioia Tauro
C.G. | A Chiara est aussi le portrait d’un lieu, que le réalisateur s’attelle à composer depuis son arrivée à Gaioia Tauro en 2010. Ce qu’il conçoit comme un triptyque, une suite de film entamée avec Mediterranea en 2015, puis avec A Cambria en 2017 s’achève ainsi avec A Chiara, projeté par ailleurs au festival de Cannes 2021. Avant cela, Jonas Capignano avait déjà réalisé un court-métrage sur les lieux, A Chjàna, qui lui a permis ensuite de rentrer en contact avec des locaux. Le triptyque sert ainsi à représenter trois communautés habitant un même lieu: la communauté africaine d’une part, la communauté rom installée et sédentarisée à Gioia Tauro, d’autre part, et la communauté mafieuse finalement. Par ces focalisations successives sur des communautés particulières, le réalisateur touche à l’universel.
A Chiara, de Jonas Carpignano
2021 – Italie, France – VOST – 2h01