C’est à lire – Leurs auteurs racontent comment ils ont hissé le drapeau du Vietcong au sommet de Notre-Dame de Paris
Un exploit « sportif » mais surtout un acte militant

Aujourd’hui, certains activistes climatiques trouvent intelligent de coller une main sur des tableaux de maîtres. Les militants, opposés à la guerre du Vietnam, avaient plus de cran et d’audace…
Le 18 janvier 1969, stupéfaction: le drapeau du Vietcong – nom donné péjorativement par les Américains au Front de libération du Sud du Vietnam – flotte sur la flèche de la cathédrale de Paris, érigée par Viollet-le-Duc et détruite par l’incendie de 2019. L’affaire, alors que débutent des négociations de paix, avortées, fait le tour du monde. Le New York Times publie une photo. Cinquante ans plus tard, les trois idéalistes vaudois dévoilent leur identité, jamais révélée jusqu’ici. Ce livre est donc un scoop !
C’est d’abord le récit, fort vivant, de cet exploit « sportif », que l’on suit mètre après mètre. Partis en « Deuche » (2 CV Citroën à l’attention de nos lectrices et lecteurs les plus jeunes) pour la capitale française, ils en reviendront le même soir. On apprend des détails intéressants sur l’architecture de la vénérable cathédrale, chef-d’œuvre du gothique français, et sur les difficultés techniques de l’aventure. Celle-ci suscitera l’admiration, même des policiers et pompiers parisiens chargés d’enlever cet emblème, grâce à un hélicoptère, car l’échelle de fer avait été sciée par les trois jeunes…

Mais l’essentiel n’est pas là. Cet ouvrage constitue un rappel historique de l’atroce guerre du Vietnam qui, comme celle d’Algérie dans les années cinquante, a mobilisé toute une génération. Il retrace les étapes de l’engagement militaire étasunien, jusqu’à l’usage massif du napalm et de l’agent orange, à base de dioxine, qui provoque aujourd’hui encore de graves malformations chez des nouveaux nés, ou encore les bombardements massifs du Vietnam du Nord par les avions B52. Sans parler des dégâts psychologiques sur les soldats US, dont beaucoup vont rester accrocs à l’alcool et au cannabis, puis à l’héroïne. Mais n’oublions pas le coût humain de ce sanglant conflit, qui est d’un Américain pour 100 Vietnamiens ! Une série de photos illustrent le propos des auteurs. Ceux-ci, qui à l’époque, ont tous fini par adhérer à la Ligue marxiste révolutionnaire, restent fidèles à leurs convictions de jeunesse.
La seconde partie du livre est donc plus critique. Les trois compères, à l’instar de beaucoup d’idéalistes, ne cachent pas leur désillusion. D’abord face à l’abandon du programme démocratique du FNL, complètement occulté par les dirigeants communistes du Nord. Désillusion aussi face aux transformations capitalistes du Vietnam, au contrôle étroit sur les médias et à la répression de toute opposition, aux contaminations écologiques, à la corruption généralisée. Le général Vo Nguyen Giap lui-même, le célèbre vainqueur en 1954 de la bataille de Dien Bien Phu contre le corps expéditionnaire français, n’affirma-t-il pas que « le parti est un bouclier pour les corrompus » ? Le propos des auteurs reste cependant modéré. Ils ne se livrent pas à une condamnation sans appel du Vietnam d’aujourd’hui, à propos duquel ils reconnaissent que certains progrès ont été réalisés. Après la sombre période de l’étatisation massive qui a suivi la victoire de 1975, qui a provoqué la disette et la fuite de milliers de boat people, on constate, depuis le Doi Moi (Renouveau) de 1986, une forte croissance économique et une hausse visible du niveau de vie. Une traduction du livre en vietnamien est d’ailleurs en préparation. En guise de conclusion, les acteurs de l’exploit, modestement, estiment que cet « acte minoritaire ne fut qu’un épisode ponctuel d’un fort engagement collectif » contre la guerre du Vietnam. Ajoutons que le bénéfice de la vente de l’ouvrage ira aux victimes de l’agent orange.
Bernard Bachelard, Noé Graff, Olivier Parriaux
Le Vietcong au sommet de Notre-Dame, Lausanne
Editions Favre, 2023, 144 p