C’est à lire – Le combat pour la liberté et le martyre de « Noor » Inayat Khan
Etienne Barilier vient de publier un fascinant roman historique

Noor est un personnage réel. Il est facile de se renseigner sur sa courte vie en consultant Internet. Par ailleurs, plusieurs ouvrages biographiques lui ont été consacrés et ont déjà été publiés (en anglais). Sur le plan strict des faits, Etienne Barilier n’apporte rien de très nouveau. L’intérêt de son livre bouleversant est ailleurs. Au contraire de la sèche étude historique, qui doit reposer sur des preuves, le roman nous fait entrer dans l’âme et le cœur des êtres humains, il peut leur prêter des propos fictifs mais plausibles. C’est le fameux « mentir vrai » dont parlait Louis Aragon.
Voici un résumé de la vie de Noor Inayat Khan. D’origine indienne et princière, elle naît en 1914 à Moscou où son père, un soufi illuminé qui prône une religion syncrétique universelle et pacifiste, vit quelque temps avec sa famille. Puis celle-ci se rend à Paris, où Hazrat Khan continue à prêcher sa doctrine. Noor reçoit donc une éducation française, qui lui sera fort utile pendant sa mission d’agente de Churchill. Elle pratique aussi la harpe, écrit des contes pour enfants. C’est une jeune fille menue et timide, d’apparence effacée, au doux visage un peu oriental, qui doute toujours d’elle-même, ce qui ne l’empêchera pas de déployer une audace stupéfiante et un immense courage. Elle est une admiratrice exaltée de Jeanne d’Arc, qui voulait « bouter les Anglais hors de France ». Elle connaîtra d’ailleurs un sort similaire.
Pourtant, de nationalité anglaise, c’est à leur service qu’elle mettra dès 1940 ses convictions… Elle suit une formation très dure pour entrer dans le fameux SOE (Special Operations Executive). Sous le nom de Nora Baker, elle devient une spécialiste des messages en morse, à la rapidité étonnante. Le 17 juin 1943, elle atterrit de nuit et clandestinement en France. Elle accomplira sa mission en civil, sans donc être couverte, en cas de capture, par les Conventions de Genève, qui protègent (en principe) les prisonniers de guerre, et sera considérée comme une espionne. Opératrice radio au service d’un réseau, son travail, consistant à transmettre à Londres des messages codés, est l’un des plus dangereux en France occupée. Alors qu’on ne prête à ces agents que trois à quatre semaines avant d’être pris par l’ennemi, elle ne sera arrêtée que vers le 12 octobre. Là se place un épisode étrange. Elle n’est pas torturée, car aux mains de Josef Goetz, un homme fin qui « aime la France » (à sa manière), adepte de la « méthode douce », mettant les prisonniers en confiance pour mieux leur soutirer des renseignements. Avec d’autres de ses collègues, il a déjà réussi à « retourner » des agents britanniques, faisant des ravages dans les réseaux de la Résistance. Il s’instaure alors entre lui et elle un étonnant rapport presque « mondain » : on boit le thé ensemble, on parle littérature… Il n’obtiendra cependant rien de Noor, alias Nora, alias Jeanne-Marie, alias Madeleine.
Hélas pour elle, une très audacieuse tentative d’évasion échoue. Elle est alors transférée dans une prison allemande, où elle est mise aux fers pendant des mois. Puis c’est le transfert dans le camp de Dachau. Peu après son arrivée, vers le 12 septembre 1944, elle est battue à mort par le sinistre Schutzhaftlagerführer SS Wilhelm Ruppert (qui sera pendu en 1946 pour crimes de guerre). Son corps ensanglanté, peut-être encore agonisant, est mis dans le four crématoire. Elle recevra les plus hautes distinctions britanniques. Un buste en son hommage est érigé à Londres et des plaques rappellent sa mémoire en France.
Qu’apporte donc le genre romanesque à cela ? La pulsation de la vie. Noor est un mélange de courage absolu, d’opiniâtreté (elle refuse d’être rapatriée en Angleterre), de fragilité et de crises de désespoir en captivité, où elle se laisse aller à des larmes bien humaines. Elle a vécu aussi un amour mais a dû renoncer à ses fiançailles, sous la pression des deux familles. Son audace presque insensée lors de ses missions de radio opératrice, ses idéaux de liberté, mais aussi une certaine désinvolture du SOE envers ses agents et agentes, qui ont lourdement payé le prix du sang, le risque permanent auquel étaient exposés les agents du SOE, avec notamment la présence de traîtres, tout cela nous est raconté par Etienne Barilier de façon palpitante, avec un véritable don de conteur et de grandes qualités de style. Evoquant par exemple le vol de Noor vers la France dans un avion Lysander, l’auteur écrit : « C’est le premier vol de sa vie, et ce baptême de l’air, qui ressemblerait plutôt à l’extrême-onction de la lune, l’émerveille. » Après de nombreux travaux littéraires et traductions, des chroniques journalistiques, ainsi qu’un précédent roman historique superbe, Dans Khartoum assiégée, puis celui dont nous venons de parler, Etienne Barilier apparaît vraiment comme l’un des écrivains les plus doués et attachants de Suisse romande.
Etienne Barilier, « Noor »
Paris , Phébus/Libella , 2023, 373 p