Les artisanes : des militantes contre la standardisation

Un album de photos et de textes leur est consacré

Cet ouvrage appartient à la catégorie des « beaux livres », ceux que l’on offre volontiers pour les Fêtes… mais qui trop souvent, après avoir été feuilletés, restent à l’abandon sur une table du salon. Or celui-ci est d’un véritable intérêt esthétique, ethnographique et humain. Il associe les photos en noir-blanc de Vincent Guignet et les textes de Blaise Hofmann. Il présente 19 femmes de toute la Suisse romande, exerçant des métiers artisanaux, dont certains longtemps considérés comme exclusivement masculins. Impossible de les citer tous ici. Cela va de forgeronne à luthière, de contrepointière à horlogère… et j’en passe !

D’abord les photographies. Elles ne se contentent pas d’être « artistiques ». Elles montrent les ateliers, les femmes concentrées sur leur travail, leurs vêtements, leurs visages, en plus gros plans leurs gestes, leurs outils, leurs productions. Elles ouvrent de véritables cavernes dédiées à la création. Quant aux textes brefs, précis, explicites de Blaise Hoffmann, ils nous apprennent beaucoup de choses. Rappelons que cet écrivain fut l’un des deux auteurs du livret de la dernière Fête des vignerons. Il s’est aussi fait connaître par un livre qui a remporté un vif succès, Faire paysan. Dans Artisanes, il s’intéresse à la personnalité de ces femmes, à leur formation, à leur parcours de vie, il cite parfois leurs propos. Avec modestie, et ici ou là avec un brin d’émotion, il se met au service de ses interlocutrices. Car celles-ci « font et elles sont », comme le dit Marie-Hélène Lafon dans sa préface. Les textes de Hofmann sont en corrélation étroite avec les photographies de Guignet, ils disent au fond la même chose, par deux biais différents. On notera par ailleurs l’inventivité de ces artisanes et l’usage qu’elles font de matériaux parfois insolites : par exemple des couvertures militaires, des rideaux de douches et des filets anti-étourneaux par une costumière…

Le travail, mené avec passion par ces femmes, contribue au maintien de coutumes et de savoirs traditionnels, tels la confection de bredzons d’armaillis fribourgeois ou l’art du découpage dans le Pays-d’Enhaut. De plus, nombre de ces artisanes transmettent leur passion en donnant des cours particuliers ou collectifs. Comme le disait le célèbre compositeur Gustav Mahler, « la tradition, c’est la transmission du feu et non l’adoration des cendres ». Donc rien de passéiste dans tout cela !

Dans sa postface, Blaise Hoffmann parle de ces créatrices comme de « militantes de la résistance ». Elles luttent contre ces phénomènes de notre temps que sont « mondialisation, standardisation, surconsommation, obsolescence programmée » et « lois du marché ». Hélas, s’il n’y a pas de relève, certains métiers traditionnels risquent de disparaître. Le livre constitue donc un bel hommage à ces femmes courageuses qui remplissent un véritable devoir de mémoire, maintiennent celle-ci vivante et la renouvellent par leurs créations contemporaines.

Artisanes, Vincent Guignet & Blaise Hofmann

Ed. Noir sur Blanc, 2024, 238 p.