C’est à lire
Une saga nous plonge dans l’Algérie française
Les Vertueux, le dernier roman de Yasmina Khadra

Yasmina Khadra, pseudonyme de Mohammed Moulessehoul, ex-officier de l’armée algérienne, vivant aujourd’hui en France, est un romancier très connu. Certains de ses livres, traduits dans de nombreuses langues, sont devenus des best-sellers. Ils ont presque tous un contenu historico-politique. Plusieurs se situent pendant la guerre civile entre islamistes et gouvernement FLN qui a ensanglanté l’Algérie. Tandis que Les Hirondelles de Kaboul évoque le sort tragique des femmes pendant le premier régime des talibans en Afghanistan, ou L’Attentat le conflit israélo-arabe.
Les Vertueux raconte l’histoire de Yacine Chéraga, qui vit très pauvrement avec sa famille dans un douar (village) perdu. Le héros du livre, très pieux et naïf, est une sorte de Candide du XXe siècle, car il offre quelque ressemblance avec le fameux personnage du roman éponyme de Voltaire. Il va découvrir divers aspects du monde, et surtout les plus tragiques. A l’automne 1914, il est engagé dans l’armée française, en remplacement d’un fils de riche propriétaire, dans des circonstances que les lectrices et lecteurs découvriront. Et cela afin d’aller combattre pour « notre Patrie la France », alors que les « indigènes » arabes ne bénéficient d’aucun droit dans l’Algérie coloniale. Après un camp d’entraînement en Afrique du Nord, où règnent la faim, le froid, les sanctions pour des fautes vénielles, la brutalité et le racisme des sous-officiers (quand ils sont Européens), sa compagnie traverse la Méditerranée et va rejoindre le « glorieux » Régiment de tirailleurs algériens. Ce qui nous rappelle le film Indigènes, qui évoque l’engagement des troupes nord-africaines dans les pires batailles de la Seconde Guerre mondiale. Mais ici, nous sommes en 1914-1918, dans les plaines froides et brumeuses de la Champagne, ravagées par les obus. Les pages consacrées à cette guerre, qui fut une véritable « boucherie européenne », sont parmi les plus fortes que nous ayons lues sur ce conflit. Quant au langage des soldats, il est souvent ordurier, mais peut-on le leur reprocher alors qu’ils connaissent la boue des tranchées, les poux, le bruit des explosions d’obus, la vision des camarades déchiquetés par les shrapnels ? Il est vrai que règnent aussi la camaraderie, voire l’amitié qui unissent ces hommes au front.
Après la victoire de 1918, on retrouve Yacine en Algérie, d’abord à Oran où, rappelons-le, se déroulait aussi le fameux roman d’Albert Camus, La Peste. Yasmina Khadra décrit ce monde algérien qu’il connaît fort bien, l’atmo-sphère de ses souks, ses tramways, ses petits métiers, les deux sociétés, européenne coloniale et « indigène », qui se côtoient sans se mêler. Tombant de Charybde en Sylla, le personnage central aboutit dans le reg (désert de pierres), au milieu des tentes de Zorg, son ancien camarade au front, devenu une sorte d’exalté mystique et nationaliste, croyant pouvoir mener avec succès une révolte contre le pouvoir colonial français et sa puissante armée, alors que le temps de la victoire de la lutte pour l’Indépendance algérienne n’est pas encore venu. On suit les épisodes de cette guérilla de cavaliers faméliques. Yacine va y trouver l’amour de la jeune Mariem, un beau moment de répit. Mais une nouvelle calamité s’abat sur lui. Rattrapé par une vieille histoire, le voilà condamné au bagne. Il finira par en sortir en 1938. Ses années de vieillesse sont celles d’un homme qui a passé par les horreurs du monde, mais qui a enfin trouvé la sérénité et la paix.
A l’instar des autres romans de Yasmina Khadra, souvent très durs, mais tous habités par un véritable humanisme, ce livre de bout en bout passionnant vaut la peine d’être lu.
Yasmina Khadra, Les Vertueux, Paris, Mialet Barrault Éditeurs (Flammarion) 2022, 541 p.