Bourg-en-Lavaux – Edition pluvieuse, édition heureuse
Retour à la normalité pour le 39e Cully Jazz Festival, édition marquée par une météo maussade et des températures hivernales. Pourtant, la chaleur était bel et bien au rendez-vous, dans le cœur des gens.

Textes et images : Thomas Cramatte | Le dernier « vrai » festival date de 2019. Après moult annulations et adaptations, les organisateurs de la manifestation en auraient presque oublié à quel point la semaine consacrée au jazz tient d’un marathon : « C’est très exigeant de mettre sur pied un festival de cette ampleur, mais qu’est-ce que cela fait du bien de retrouver la foule déambuler dans le Bourg de Cully », admet Jean-Yves Cavin, avant de renchérir : « Nous avons eu toutes les météos depuis le premier avril, jour d’ouverture du festival », réplique le co-directeur et programmateur de l’événement. Considéré comme le festival ouvrant la saison des manifestations estivales, le Cully Jazz se déroule à une période de l’année où la météo réserve encore bien des surprises : « Nous n’avions jamais eu de neige comme le 1er avril, cependant, nous n’avions jamais non plus rencontré autant d’euphorie de la part des spectateurs, des artistes et des bénévoles », souligne Jean-Yves Cavin avec un sourire évocateur.
Pour en témoigner, son collègue de direction, Guillaume Potterat, revient sur un fait marquant de cette édition : « Un artiste s’est désisté à la dernière minute pour cause de Covid. Il faut bien avouer que j’appréhendais de prendre la parole sur scène pour expliquer la situation, mais même si le public n’avait pas acheté un billet pour voir Lakiko, toute la salle était heureuse d’écouter du jazz. Jamais je n’avais vu cela auparavant ». Si les deux organisateurs sont d’accord pour dire que l’édition 2018 fut l’une des meilleures de l’histoire (tant par sa programmation que par la météo), l’ambiance qui s’est dégagée tout au long de cette 39e édition fut unique : « Les gens sont tellement heureux de retrouver les sensations du live, cet état d’esprit, je ne suis pas sûr de le revivre ».
Gratitude
Pour la première fois, la manifestation de Cully a participé à l’opération Europe Jazz Network. Cette association active dans 34 pays regroupe 170 organisations œuvrant pour le jazz et l’improvisation musicale. Denis Le Bas, directeur du festival Jazz sous les pommiers, a fait le déplacement depuis la Normandie : « Je n’en revenais pas. La programmation, l’ambiance, le cadre, l’originalité des caveaux, il n’y pas d’équivalent en France ». Pour le Normand, la manifestation vaudoise est l’une des plus abouties actuellement : « Même le tri des déchets est parfait, sans compter l’implication des bénévoles qui véhiculent une sorte de culte autour du festival ».
La reconnaissance ne s’arrête pas là. Pour remercier les personnes ayant versé des dons lors de la pandémie, un concert gratuit était organisé : « Nous nous attendions à voir 60 personnes, mais ce sont 700 spectateurs qui ont répondu présents pour nous remercier de notre engagement ».
Du côté des ventes de billets et de la fréquentation, cette édition signant le retour à la normale est satisfaisante : « Depuis le 22 janvier, nous vendons en moyenne 120 à 130 billets par jour », précise la responsable de la billetterie, Constance Helbecque. Si les visiteurs sont venus nombreux aux concerts du festival IN, la partie gratuite ne remporte pas tout à fait le même succès, la faute à la météo. « Il faudra attendre encore quelques jours pour faire un constat précis sur la fréquentation globale du festival », ajoute la collaboratrice.

Interview du compositeur de Read Dead Redemption 2

Connaissez-vous Mario Batkovic ?
Ce Bosniaque installé à Berne apporte à l’accordéon ce que les impressionnistes ont apporté à la peinture. Brisant les codes et les genres musicaux, l’artiste de 42 ans ne connait pas de frontières musicales. Pourtant des frontières, Mario en a traversé pour rejoindre la Suisse durant la guerre d’ex-Yougoslavie. Mais avant de s’installer avec sa famille à Berne, il s’émerveille avec ses yeux d’enfant devant les joueurs d’accordéon de son village natal : « Cet instrument est très populaire partout dans le monde, mais en Bosnie, on pourrait presque dire que c’est une religion ». Malgré ses origines, rien autour de lui ne le prédestine à devenir un virtuose du soufflet : « Quand j’avais treize ans, mes camarades d’école écoutaient du hip-hop, c’est à ce moment-là que j’ai compris que cet instrument n’était pas en vogue », se remémore l’artiste.
« On n’a jamais vu un show sur MTV avec des joueurs d’accordéon. Aujourd’hui, je ne me considère pas comme accordéoniste, mais comme musicien ». Une philosophie qui est à l’origine de la musique unique de Mario. Car lorsque le Bernois monte sur la scène du temple du Cully Jazz Festival, les spectateurs sont loin d’imaginer les sons produits par l’accordéon du musicien : « J’ai passé toute ma vie avec cet instrument en main, mais j’aime détourner tous les instruments pour qu’ils produisent un son unique et nouveau. Finalement, je ne me considère pas comme un bon musicien, mais j’aime essayer plein de choses, comme fabriquer mes propres instruments et composer ». Créer pour partager de bons moments, voilà le but de l’artiste. Pour lui, il n’y a aucune différence à jouer devant 20’000 personnes ou devant une dizaine de spectateurs, ou encore, pour des millions de joueurs de jeu vidéo. Lui qui n’a quasiment jamais tenu une manette de jeu de sa vie, est devenu une star dans le monde des compositeurs de films : « J’ai agi exactement de la même manière lorsque j’ai composé la bande originale de Red Dead Redemption 2. Car je crois avant tout à la musique et aux sensations qu’elle procure», souligne l’artiste en riant.