Auboranges – Brin de nostalgie pour les dernières corvées communales
Corvée : un mot qui a plutôt une connotation négative, synonyme de travail imposé, gratuit, pénible, antonyme de plaisir.
Mais à Auboranges, samedi 2 novembre, nous n’avons rencontré que des « corvéistes » avec le sourire, plein d’entrain et un peu nostalgiques de voir cette tradition s’éteindre avec l’entrée de leur village sous la bannière de la commune de Rue au 1er janvier 2025.
Dernière commune fribourgeoise à perpétuer activement les corvées
Depuis toujours le village fribourgeois d’Auboranges, voisin d’Oron, demande à ses habitants de participer aux corvées annuelles. Ces dernières sont organisées les 1er et 2e samedi de novembre. Une personne par ménage doit participer chaque année aux corvées sous peine d’une facture de 6h à Fr. 25.-/h, comme le précise le règlement communal. « Auboranges qui compte 280 habitants, étaient alors essentiellement agricole. Les routes n’étaient pas goudronnées et étaient mises à mal par le passage des chars et autres véhicules. Aussi les paysans devaient effectuer des corvées communales pour entretenir ces chemins, refaire les fossés, enlever tout ce qui encombrait la voie. Le nombre d’heures de travaux était proportionnel à la surface des terrains agricoles de chaque propriétaires, certains devaient parfois jusqu’à une semaine de travaux » explique Christophe Jaccoud, syndic.
Les corvées, occasion d’effectuer divers travaux qui seraient peut-être restés en suspens
Puis les temps ont évolué, les routes ont été goudronnées et il a fallu repenser le concept. « Aujourd’hui chaque ménage doit 6h de corvées par an jusqu’à la retraite des deux partenaires pour les couples. Mais certains y viennent même plus longtemps par plaisir, que nous soyons en T-shirt ou sous la neige. Je me souviens d’une époque où les corvées nous occupaient plus que 6h, car à chaque fois que nous passions devant une ferme, les hommes étaient appelés à l’écurie par les grands-papas pour y déguster la pomme tandis que les dames se réchauffaient en buvant un thé avec les grands-mamans. Que de belles anecdotes ! Puis les temps ont changé, on s’est un peu urbanisés. Tout au long de l’année, nous élaborons une liste des divers travaux à exécuter. Les personnes sont réparties en groupes que nous essayons de rendre le plus hétéroclite possible en mettant ensemble des gens du haut et du bas du village et de toutes catégories. A l’exception de l’équipe de pose des piquets et barrières à neige qui est composée d’habitués encadrés par Benedikt Wüthrich, conseiller communal, les autres groupes découvrent le nettoyage du panneau d’affichage officiel, de la place de jeux, des gargouilles au bord des routes, des trottoirs, de la piste finlandaise ou des travaux légers en forêt et parfois de peinture, etc. Tout cela avec des gilets de sécurité et des outils adaptés » signale Philippe Besson, vice-syndic qui nous livre quelques chiffres : « sur les 90 ménages que compte la commune nous avons, cette année, un taux de participation de 60 %, soit 54 personnes ce qui fait un total de 324h de travail pour la collectivité soit une valeur économique de quelque Fr. 20’000.- à cela s’ajoute les Fr. 5400.- facturés aux absents. »
Au 1er janvier 2025, Auboranges deviendra un village de la commune de Rue
Après plusieurs années de discussions avec différentes approches, le choix s’est porté sur une fusion à quatre : Auboranges, Chapelle s/Oron, Ecublens (FR) et Rue. Ainsi, la plus petite ville d’Europe, appartiendra à la troisième plus grande commune de la Glâne après Romont et Ursy. « Nous collaborions déjà, par exemple, au niveau du scolaire et paroissial. Les exigences cantonales, le problème de renouvellement du personnel et l’engagement nous ont poussés dans cette direction. La fusion a été validée par une forte majorité de la population en novembre 2023 » précise le syndic. Le système de corvée est gérable pour une commune de 280 habitants ne le sera plus pour 2600 habitants. Alors que jusqu’à ce jour, les petits travaux sont gérés par les conseillers et les plus importants par un piqueur (agriculteur à qui des mandats sont donnés), ils seront pris en charge par la voirie de Rue.
Un lien social qu’il faudra perpétuer d’une autre manière
Devant la fromagerie, Fernande et Carmen s’activent au nettoyage des panneaux d’affichage publiques. Avec respectivement 13 et 3 ans de participations aux corvées, elles apprécient toujours autant y participer. « C’est une occasion de faire de nouvelles rencontres, nous ne nous connaissions pas particulièrement avant ». Sur la place de la Douane, Benedikt et Frédéric posent les piquets à neige « Les corvées, c’est génial pour rencontrer les gens du village. On y crée un lien social. » Le long de la route, armés de pelles et de racloirs, Laeticia et Timour font partie d’un groupe qui dégage l’herbe au bord du trottoir avec une belle énergie « c’est un moment sympa. On prend collectivement conscience du travail que représente l’entretien de notre village et nous avons un plus grand respect de nos installation. Un village entretenu par un village ». Avec nostalgie, ils font part du regret de voir se terminer cette coutume et de ne plus avoir d’occasion de se revoir.
A midi, une bonne soupe à la courge sera servie aux travailleurs. Un en-cas léger, car un bon souper attend les 98 citoyens inscrits. Tout une équipe travaille dans l’ombre pour préparer cette fête de la fusion. Les tables se garnissent gentiment dans l’abri où deux salles ont été nettoyées pour l’occasion. Les habitants d’Auboranges garderont leur Fête du village qui perdurera avec la nouvelle commune et comme le relève Frédéric « nous sommes plusieurs familles qui allons s’investir pour organiser, au niveau villageois, de petites occasions de se rencontrer ».