Arts vivants – Noël en mai
Le Père Noël est une ordure au Théâtre de l’Ouvre-Boîte de Montpreveyres
La troupe de l’Ouvre-Boîte, active à Montpreveyres depuis bientôt quarante ans, monte cette année Le Père Noël est une ordure sous la direction de Jacques Zwahlen. Alors, quand les Rossignols se frottent aux Parigots, le cocktail promet d’être explosif!
Le théâtre a ses classiques et les jouer constitue de tout temps un défi de taille. De L’Avare au Barbier de Séville en passant par Hamlet ou Le Cid, rejouer une pièce déjà interprétée des centaines de fois, qui plus est par les plus grands, peut paraître une montagne. Le Père Noël est une ordure, dans un registre plus caustique et plus contemporain, est de ceux-ci. Il jouit en outre d’une diffusion plus grande encore depuis la sortie du film en 1982, que l’on ne peut éviter de voir diffusé à chaque période de Noël.
Au moment de monter la mythique pièce de la troupe du Splendid, le Théâtre de l’Ouvre-Boîte n’ignorait donc pas sa renommée et le besoin de se départir de l’œuvre originale. Car le risque principal d’une pareille entreprise reste bien évidemment de tomber dans une pâle imitation des Thierry Lhermitte, Christian Clavier, Anémone, Marie-Anne Chazel, Gérard Jugnot et Bruno Moynot. Devant un condensé de ces interprétations, déjà entrées au panthéon de l’humour francophone, il était donc nécessaire de se donner les moyens de faire à sa sauce.
Exit donc les six précédents nommés et place à Mégane Gilliand, José Pahud, Nicole Schneider, Cécile Pasche, Steff Wuethrich et Alain Beutler. Six comédiens et comédiennes du cru qui vont, durant plus ou moins deux heures nous faire nous gondoler au rythme de ces personnages loufoques et déjantés. On redécouvre ainsi sous un tout nouveau jour le bien-pensant Mortez, la prude Anémone, la zozottante Josette, la dépressive Katia, le foldingue Félix et un Monsieur Preskowitch féminisé pour l’occasion. Et force est de constater que la mayonnaise prend !
On pourrait croire un peu naïvement qu’un texte comme celui-ci, par la drôlerie de son écriture, se suffirait à lui-même et que toute interprétation ne serait sur ces belles paroles qu’un faible artifice. Bien au contraire, faire claquer et sonner ces répliques comme il se doit nécessite une justesse, une finesse, un rythme, une interprétation qui contribuent à les mettre en valeur. Les six comparses donnent ainsi le meilleur d’eux-mêmes pour mettre en corps et en voix cet enchaînement de bons mots et de situations cocasses.
Comme on n’attend pas d’une confrontation entre le FC Echichens et l’AS Haute-Broye les mêmes choses que d’une finale de Ligue des champions, on ne vient pas voir un spectacle amateur comme on va voir une production professionnelle. Est-ce à dire que le second sera de toute façon meilleur que le premier ? Sans aucun doute : non. Car il y a quelque chose d’autrement appréciable à déguster le charme de l’artisanat. Bien entendu, ici, tout est fait avec les moyens du bord et avec les forces en présence. On ne s’offrira ni un matériel technique hors du commun, ni des vedettes internationales. Est-ce grave pour autant ? Une fois encore : non.
De fait, si l’on quitte la salle des Balances avec un large sourire, c’est aussi sans doute parce qu’il ressort de chaque réplique et de chaque geste un plaisir on ne peut plus manifeste. Personne n’y semble forcé de monter sur scène et savoure chaque moment de son interprétation. Et tant pis si certains trous de mémoires surviennent, si quelques bouts de texte passent à la trappe, un autre acteur sera toujours là pour rattraper le coup. Un plaisir de l’être-ensemble et du faire-ensemble qui transparaît tant sur scène que dans la salle, où se nichent à la caisse, aux lumières et au bar plein de ces petites mains si essentielles à la réussite d’une aventure comme celle-ci.
Voir Le Père Noël est une ordure, c’est donc non seulement assister à un intense moment de plaisir, mais aussi vivre l’espace d’un instant, dans un monde où l’individualisme semble parfois un maître-mot, les joies d’une aventure collective.