Arts vivants – Le temps de l’humour
Karim Slama dans « Monsieur » au Théâtre du Jorat, le 7 mai
Karim Slama présente son nouveau spectacle « Monsieur » au Théâtre du Jorat début mai. Une proposition qui, par sa poésie et son défi corporel, tranche avec les autres spectacles humoristiques contemporains.

Si les arts de la scène semblent parfois être en perte de vitesse, il est un type de spectacle pour laquelle les gens se déplacent encore en nombre : l’humour. L’explosion de l’offre en matière de stand-up ces quinze dernières années en est une illustration flagrante. La plupart des lieux de spectacles ont ainsi intégré plusieurs one- (wo) man-shows dans leur programme, sûrs du succès de ceux-ci. Des Comedy clubs se sont forgés un peu partout, notamment à Lausanne, Fribourg et Genève, les radios misent de plus en plus sur des pastilles humoristiques pour garder leurs auditeurs, et l’avènement de YouTube et des réseaux sociaux rend le foisonnement d’offre comique de plus en plus prégnant.
Il en résulte un constat certain : l’humour scénique francophone du XXIe siècle se vit principalement derrière un micro, sur une scène vide. On n’y valorise plus tant la corporalité, la poésie ou la créativité que la quantité de vannes à la minute. En résultent parfois des spectacles sans queue ni tête, forcés par cette fameuse règle qui voudrait que le public rie toutes les dix secondes.
Fort heureusement, dans cette mare de l’humour-fast-food, demeurent quelques propositions originales qui osent sortir de ces codes à la mode pour proposer quelque chose de tout à fait nouveau. La prestation de Karim Slama dans Monsieur est de celles-ci. Présenté au Théâtre du Jorat le
7 mai, ce spectacle, créé début 2022 au Théâtre Boulimie, ose en effet le pari de la poésie et du corps.
Monsieur, un personnage que l’on pourrait volontiers qualifier d’« attachiant »
On ne présente plus le comédien vaudois qui, parallèlement à ce one-man-show, fête actuellement ses vingt ans de scène aux quatre coins de la Romandie. Bien avant la récente arrivée de toute une nouvelle « génération dorée » de jeunes humoristes romands, le Lausannois avait déjà ouvert la voie en même temps que des Frédéric Recrosio, Yann Lambiel ou autres Marc Donnet-Monay. Monsieur sera ainsi le quatrième solo du mécanicien-électricien de formation.
Ce « Monsieur », c’est une sorte de George Valentin. Vous savez, George Valentin, le protagoniste de The Artist, cet acteur qui, au sommet de son art et de sa notoriété, se voit soudain dépassé par l’arrivée du cinéma parlant. Ce « Monsieur », c’est aussi Truman Burbank, du Truman Show. Un personnage enfermé dans sa condition de divertisseur, qui comprend qu’il n’est qu’un pantin et cherche à s’affranchir de celles et ceux qui décident pour lui. Ce « Monsieur », c’est surtout un peu de nous tous, qui, à un certain moment de notre vie, nous verrons sans doute dépassés par une génération dont les nouvelles façons de parler et de vivre en société seront hors de notre capacité de compréhension.
Le cadre est le suivant : Monsieur est un grand mime mondialement reconnu. Chacun de ses spectacles rencontre un succès prestigieux, quand, un soir, il remarque soudain une personne dans le public qui ne rit pas. Puis deux. Puis trois. Et ainsi de suite. De là, c’est une dégringolade vertigineuse pour celui qui était rompu au strass et aux paillettes. Plus personne, ni son agent, ni son banquier ne lui font confiance. Le voilà seul face à lui-même. Commence alors une longue traversée du désert où, avec le soutien de sa voix off, Monsieur tentera tant bien que mal d’accéder à nouveau à la renommée qui était la sienne.
Il y a quelque chose d’enfantin au sens le plus noble du terme dans le spectacle de Karim Slama. Une façon de créer à partir d’un personnage loufoque et clownesque tout un tas d’histoires si universelles dans leurs thématiques et dans les émotions qu’elles évoquent, qu’elles savent toucher toutes sortes de publics. Une appréciation qui peut se faire tant au niveau d’une histoire agréable à suivre que d’un engagement corporel qui rappelle autant le mime Marceau que Buster Keaton ou que d’un langage yaourt qui ajoute à l’étrangeté de ce « Monsieur ».
On suit ainsi plaisamment, et sans trop d’efforts le récit d’un personnage que l’on pourrait volontiers qualifier d’ « attachiant ». Sorte d’éternel adolescent narcissique qui doit attendre de se retrouver dans une situation bien précaire pour être enfin capable de démontrer toute sa sensibilité. Comme un récit initiatique qui ne dit pas son nom.
Ainsi, Karim Slama réussit-il l’exploit de nous proposer un spectacle d’humour sans lourdeur, sans vannes et sans artifice qui, indéniablement, fait du bien. Il faut en effet un sacré culot pour oser revenir à ce procédé humoristique ancestral qu’est le mime au risque certain de paraître ringard. Le comédien parvient à éviter cet écueil avec talent, humanité et légèreté.
Monsieur vaut donc le détour, ne serait-ce que par cette capacité de s’affranchir des codes humoristiques contemporains. Mais au-delà de ce constat, c’est surtout la générosité de Karim Slama qui donne au spectacle un capital sympathie immédiat. Dans un partage constant avec son public, le comédien parvient, pendant près de 90 minutes, à emmener celui-ci dans son univers fantaisiste.
Nouveau défi de taille avec ce passage au Théâtre du Jorat : comment réussir à garder cette part de partage intime au moment de se produire dans l’une des plus grandes salles de Suisse romande, qui plus est dans ce (presque) seul-en-scène ? Nul doute que Karim Slama y parviendra. Bien sûr, la Grange Sublime n’est pas Boulimie. L’intimité ne sera pas la même, mais l’espace d’expression du comédien sera d’autant plus élargi. Et nul doute que les mimiques de celui qui est désormais bien installé dans le paysage culturel romand saura convaincre le public méziérois.