Arts vivants – Laclos au temps de MeToo
Dangereuses par le Bilbao Théâtre à la Grange Sublime
Sempiternel conflit que celui qui oppose les partisans d’un théâtre qui valoriserait les « grands textes » et les aficionados de la nouveauté ! A travers une réinterprétation de l’œuvre de Choderlos de Laclos, Ariane Moret et Anna Lietti prennent le pari de réconcilier ces deux camps. A voir ce dimanche 4 juin au Théâtre du Jorat.
Dimanche matin, vous êtes pris d’une forte fringale culturelle. Qu’irez-vous voir ce soir ? Faites-vous partie des amoureux des textes consacrés qui sautent sur chaque nouvelle mise en scène du Cid, de L’Avare ou d’En attendant Godot ? Ou appartenez-vous plutôt à l’équipe de ceux qui en ont assez de remuer la poussière de ces vieux bouquins et quêtent sans cesse vers plus de nouveauté ? Soif de neuf ou faim de patrimoine ? Au moment de poser un choix parmi l’immense offre culturelle qui se presse à nos portes chaque fin de semaine, ce critère semble l’un des plus déterminants. Ceux-là ne se déplaceront que pour du Molière, ces autres ne sortiront pas de chez eux avant une nouvelle révolution des codes théâtraux.
Pourtant, au milieu de propositions spectatorielles souvent très tranchées sur la question demeurent quelques suggestions hybrides, qui cherchent tout autant le lien au passé que le pas vers le futur. Dangereuses, présentée au Théâtre du Jorat dimanche prochain 4 juin, est de celles-ci. Proposée pour la première fois en février au 2.21 à Lausanne, passée ensuite par Yverdon-les-Bains et le Théâtre Benno Besson, la nouvelle création du Bilbao Théâtre vient cette fois-ci faire un tour dans les locaux de sa metteuse en scène. Car oui, c’est Ariane Moret, co-directrice de la Grange Sublime qui signe cette réinterprétation très libre des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos.
Que dire de ce roman épistolaire, rentré depuis longtemps à la postérité, qui n’ait pas encore été dit ? Tombée dans les mains ou tombée des mains de plusieurs écoliers durant l’adolescence, tantôt adorée, tantôt détestée, l’œuvre de Laclos présente la particularité pas si fréquente d’éveiller les souvenirs d’une part importante d’entre nous. Accompagnant les premiers émois amoureux et érotiques de certaines et certains, les aventures du vicomte de Valmont, de la marquise Merteuil ou de Cécile Volanges n’ont pas, depuis leur XIXe siècle, perdu de leur superbe, ni de leur actualité. A l’heure où le consentement, la liberté sexuelle et la manipulation amoureuse sont au cœur des débats et de bien des ouvrages de développement personnel, l’intrigue des Liaisons dangereuses résonne toujours en encore.
Une œuvre si connue présente dès lors un grand avantage et une grande difficulté. L’avantage, par rapport à des productions toutes nouvelles, de déjà parler à une grande part de ses spectateurs potentiels. La difficulté, en revanche, de répondre aux attentes énormes de ces mêmes spectateurs. C’est donc à un défi de taille que s’expose le Bilbao Théâtre. Un défi que la compagnie a décidé d’affronter en prenant ses libertés sur le texte original. En ressort une nouvelle lecture toute modernisée et au fait des réalités de notre époque, inscrite en plein dans l’ère MeToo.
Avec Shin Iglesias, Raphaël Delfour, Magali Heu, Jérôme Chapuis et Billy Blast, Ariane Moret s’entoure pour cette aventure scénique d’une belle brochette de comédiennes et de comédiens d’expériences et de parcours différents. Une équipe conséquente l’accompagne, à commencer par Anna Lietti, qui co-signe le texte de Dangereuses et Antoine Jaccoud, qui en assure la dramaturgie.
Une troupe d’une taille comme on en voit de moins en moins sur les planches qui se frottera donc ce dimanche dans l’immense antre théâtral méziérois à la réinterprétation de ce classique parmi les classiques. Après le Cendrillon de Joël Pommerat en ouverture de saison, après la relecture de Ramuz par Thierry Romanens dans Et j’ai crié Aline et en attendant le triptyque de François Gremaud (Phèdre ! / Giselle…/ Carmen) à la rentrée de septembre, Ariane Moret et le Bilbao Théâtre nous proposeront donc une autre tentative de réconciliation entre les charmes du passé et les
titillements du futur.
Le texte de Dangereuses paraîtra dans la collection L’Aire Théâtrale à l’occasion de la venue du spectacle au Théâtre du Jorat.
Une séance de signature avec Ariane Moret et Anna Lietti est prévue après la représentation du 4 juin.