Arts vivants – Douze coups sonnent au Théâtre du Jorat
Interview d’Alfredo Canavate, comédien
Rares sont les lieux de culture dont la saison reprend en avril. Le Théâtre du Jorat, contraint pour des raisons thermiques de fermer ses portes pendant l’hiver, est de ceux-ci. A l’heure de rouvrir pour cette première année complète sous la direction bicéphale d’Ariane Moret et Nathalie Langlois, la Grange Sublime s’apprête à recevoir un spectacle dont le succès n’est plus à faire : Cendrillon de Joël Pommerat. Que l’amateur de Bobbidi-Bobbidi-Boo se sache prévenu : on est bien loin ici de la version toute lisse du classique des studios Disney. Plus proche de la version des frères Grimm ou de celle de Perrault, cette relecture du dramaturge français n’en est pas moins destinée à toutes et tous.
Rencontre avec Alfredo Canavate, l’un des comédiens de cette aventure qui dure depuis 2011.
Alfredo Canavate, le Théâtre du Jorat est un théâtre qui souhaite parler à un large public. En quoi l’intrigue de Cendrillon s’adapte-t-elle à cette ligne directrice ?
A mon avis, il n’y a pas d’inconvénient à ce que ce soit présenté à un public populaire. On présente ce spectacle un peu partout, donc plus souvent à un public populaire qu’à des initiés. L’histoire de Cendrillon est une histoire universelle. C’est d’abord une histoire triste, puisqu’une jeune fille perd sa maman, qui meurt d’un cancer. Au moment de mourir, sa mère s’adresse à elle. La très jeune fille ne comprend pas bien ce qu’elle dit et va se fabriquer des histoires dans sa tête.
Sa mère lui aurait dit :
« Tant que tu penseras à moi, je resterai toujours en vie quelque part. » La petite fille tient très fort à cela. Le père, que j’interprète décide de se remarier, prend sa gamine, et ils vont chez la belle-mère et ses deux filles. De là, naît une intrigue qui va se dérouler pendant une heure quarante avec plein de sursauts et de surprises. C’est très vivant et très accessible. L’écriture est venue de nos improvisations, ce n’est donc pas un langage incompréhensible.
Partir d’un conte connu du plus grand nombre est-il un avantage au moment de présenter cette pièce ou est-ce au contraire un défi d’autant plus grand de créer l’adhésion du public ?
C’est la force de Joël Pommerat. Quand je dis à Bruxelles
« Je joue Cendrillon », on me regarde bizarrement. Tout le monde fait référence au Cendrillon de Walt Disney, mais Joël s’est
inspiré du conte des Frères Grimm. Quand on me demande
d’expliquer le spectacle dans lequel je joue, je dis : « Tu imagines Cendrillon ? Eh bien, tu prends une serpillière sèche, tu la trempes dans un seau. Tu la ressors. Tu essores, tu essores, tu essores, et le résultat, c’est le Cendrillon que je joue. »
Joël Pommerat pratique une écriture dite « de plateau », pourriez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?
Le premier jour de répétition, il n’y a aucune ligne du texte qui est écrite. Nous, comédiens, arrivons et faisons des improvisations. Joël enregistre ou prend des notes et le lendemain, il revient avec une ébauche de scène. Il faut savoir qu’au départ, toute l’équipe de création est là. Donc la création se fait non seulement avec Joël, avec les comédiens, mais également avec les lumières, la scénographie, le son, la vidéo : on progresse tous ensemble. Joël écrit avec des slashs. Il fait par exemple trois propositions pour une réplique : à un moment, le prince dit à la jeune fille « Comment tu t’appelles ? » / « C’est quoi ton nom ? » / « Tu t’appelles comment ? » Il fait donc trois propositions que les comédiens sont priés d’apprendre, parce qu’il veut entendre les trois et savoir laquelle sonne le mieux. C’est un travail en évolution.
Cendrillon a déjà tourné en de nombreux lieux. Voyez-vous des différences dans la perception du public d’un endroit à l’autre ?
On a joué un peu partout : au Canada, côté anglophone et côté francophone, on a fait l’Italie, Taïwan, l’île de La Réunion, le Brésil, le Chili… C’est là-bas qu’on a senti le public particulièrement touché. On voit l’histoire d’une gamine qui se fait réprimer, insulter, qui est traitée comme moins que rien, et les Chiliens, dans leur histoire, ont connu ça aussi. Ils étaient très attachés à ça. Mais sinon, ça change tous les jours, puisqu’on a tous les jours un public différent.