Cinéma – « Les pires » de Lise Akoka et Romane Guéret
Sortie au cinéma d’Oron, les mercredi 5 et samedi 8 avril
Vendredi soir était présenté le premier long-métrage du duo Akoka-Gueret, ayant reçu le prix de la caméra d’or à Cannes et à l’affiche tout le mois d’avril au City club de Pully.

Rencontres de casting
Gabriel, un réalisateur belge de cinquante ans environ veut réaliser un film social à Boulogne-sur-Mer. Pour ce faire, il utilise la méthode du casting sauvage, qui consiste à repérer des gens dans la rue et à les inviter à un casting où ils sont filmés. Ces images de casting sont les premières du film du duo féminin de réalisatrices, qui sont elles-mêmes directrices de casting de formation. Après s’être rencontrées, il y a quelques années, lors d’un tournage, elles décident de réaliser un court-métrage, primé à Cannes lui aussi, qui entame le procédé des Pires. Avec ce long-métrage, elles développent leur idée sur une heure et demie pour parler d’un tournage entier dans la cité
fictive « Picasso ».
Critiquer le cinéma social
Le film de Lise Akoka et de Romane Guéret prend pour sujet un film tel que celui qu’elles réalisent elles-mêmes, puisqu’elles pratiquent elles aussi le casting sauvage pour trouver les acteurs et actrices de leur film. Elles se basent par ailleurs sur ces entrevues filmées avec des jeunes pour écrire des dialogues et des identités vraisemblables à leurs personnages. Ceci représente ainsi un grand travail en amont de leur tournage, puisqu’elles retranscrivent tous ces entretiens afin de trouver les mots justes une fois le moment de l’écriture arrivé. En même temps, il s’agit pour elles de remettre en question les pratiques du cinéma social français. Filmer un film dont la démarche s’apparente à la leur, pour cibler ce qui peut être problématique. Le réalisateur Gabriel est ainsi un personnage nuancé, qui n’est pas foncièrement mauvais mais qui conduit maladroitement un tournage des plus délicats puisqu’il demande à des jeunes défavorisés de se livrer pleinement pour son film. On le voit ainsi les manipuler par instants au profit de sa réussite personnelle. La démarche de Lise Akoka et de Romane Guéret consiste ainsi à faire du cinéma social éthique, en encadrant et en protégeant les jeunes qu’elles lancent dans le monde du cinéma, ce que Romane Guéret expliquait vendredi soir dernier sur la scène du City club.
Citer les clichés
Pour mettre en image leur mise en abyme de la pratique du cinéma social, les deux réalisatrices et leur co-scénariste s’attellent à illustrer certains clichés. On voit ainsi Gabriel mettre en scène des bagarres violentes entre des jeunes garçons, qu’il pousse à bout pour que cela semble réel, au point que les enfants se mettent à se battre vraiment. Une autre scène du film de Gabriel consiste en une scène d’amour entre deux adolescents, gênés et mal encadrés qui explosent de colère. Certaines images semblent par ailleurs être des citations directes aux frères Dardenne, par exemple, dans une scène où le protagoniste dévale une pente à vélo. En hors-champ du film de Gabriel, le jeune garçon ne s’arrête pas lorsqu’on lui dit « coupez » et continue sa balade à vélo. C’est ainsi ce genre d’hors-champ que révèle le film de Lise Akoka et de Romane Guéret : celui de la réalité d’un monde que l’on ne révèle que par bribes et de manière trop manipulée et stigmatisante dans le cinéma social traditionnel.
Les pires, de Lise Akoka et Romane Gueret
Fiction, France, 2022, 1h36, en français 16/16