Les tribulations de trois Forellois
Constant Richard | Grâce aux archives de M. Henri Rouge, de Lutry, Le Courrier a eu le privilège d’avoir accès à un article paru dans la Chronique de Lavaux et du Cercle de Pully, en 1926, reproduisant le journal tenu par Constant Richard, qui accompagna, en 1919, un convoi de bétail de Moudon à Verdun, récit intitulé «Un tour de France en 1919». Plus près de nous, le 30 juillet 2009, un condensé de ce voyage, signé Claude Cantini avait paru dans les pages du Courrier.
Après avoir lu ce périple peu ordinaire et plein de poésie vécu par les trois citoyens de notre région, il a été décidé de publier l’intégralité du texte tel qu’il le fut en 1926.
Partie I / Chronique de Lavaux et du Cercle de Pully, 1926
On se souvient qu’en 1919, année qui suivi l’armistice de la guerre, une initiative prit naissance dans nos campagnes vaudoises de repeupler de bétail bovin les malheureuses contrées agricoles du nord de la France, lesquelles avaient été le principal théâtre du carnage mondial, dont les conséquences funestes ne sont pas encore au point aujourd’hui, voilà tantôt sept ans.
Cette initiative rencontra aussitôt un généreux accueil. Puis, des commissions se formèrent pour donner une suite active à ce noble élan, et enfin des convois furent organisés, lesquels devaient nécessairement être accompagnés jusqu’au point de remise par des citoyens de bonne volonté.
Nous avons eu le plaisir d’apprendre que grâce à la collaboration influente de M. Lederrey, du Tronchet, trois citoyens de Forel furent agréés pour accompagner l’un de ces convois: ce furent Emile Gavin, du Forneret; Paul Regamey, des Cornes et Constant Richard, secrétaire communal. Ce dernier ayant eu l’heureuse inspiration de retracer dans un rapport écrit les diverses péripéties et souvenirs de ce «tour de France», nous l’avons appris par une petite indiscrétion, et maintenant que la saison des comptes rendus de soirées de sociétés est arrivée à sa fin, nous avons sollicité cet ami Constant de nous laisser consacrer pendant quelques numéros cette place de notre modeste journal aux souvenirs de cet épisode, persuadé que ces quelques lignes seront lues avec grand plaisir par la population agricole de notre district.
Après plusieurs ordres et contre-ordres, nos convoyeurs apprennent enfin qu’ils de-vaient faire leurs préparatifs pour se rendre à Moudon, le vendredi 13 juin, à 8 heures du matin. Et maintenant, la parole est à notre rapporteur.
Préface de Constant Richard : « Par les quelques lignes qui vont suivre, je me promets de raconter simplement, sans vantardises et le plus fidèlement possible le tour que j’ai eu l’honneur de faire dans une partie de la France pendant 8 jours avec mes camarades Emile Gavin en Forneret et Paul Regamey aux Cornes. Les soldats Henri Cretin et Pierre Gressey nous accompagnent dès Frasnes. Forel juillet 1919. »
Donc ce jour venu (vendredi 13), par la pluie, Aimé Gavin nous conduit en char à Moudon, avec nos bagages, un tonneau plein de Lavaux, et de bons vœux pour notre voyage ! Nous arrivons à Moudon à 8h. Le temps de boire un verre – seul remède à toutes les émotions des vrais bons Vaudois – et nous sommes à la disposition de ces messieurs de la commission d’achat.
Le travail commence. Chaque wagon devant être pourvu de trois sacs de sciure comme litière et du foin nécessaire à un repas, deux d’entre nous s’occupent de cette préparation, pendant que le troisième va aux emplettes, car il est réservé aux convoyeurs un wagon complet devant servir de chambre à manger, chambre à coucher et chambre de réception. Il s’agit de se munir de seaux, pelles, lanternes, cordes, chaises, tasses, etc., voire même d’un couteau de boucher, en prévention d’accidents.
Nous nous retrouvons à la gare, nos préparatifs terminés. Le chargement commence. Il devait comprendre 96 têtes, soit 36 vaches, 57 génisses et 3 taureaux.
Tout ce bétail, qui avait été classé, est attaché solidement à l’intérieur du wagon par un licol et une corde passée autour des cornes. Onze wagons suffisent pour ce chargement. Il ne restait qu’à aménager notre wagon et le rendre le plus confortable possible.
A ce moment, nous apprenons que notre convoi est destiné à Verdun. Ce nom nous remplit de joie mêlée d’appréhension et d’une certaine tristesse en pensant à la ville martyre que nous aurons l’occasion de visiter, et la perspective de la tâche qui nous est confiée nous laisse du souci.