Société – « Le temps passé sur l’écran aurait-il dû être consacré à autre chose ? »
Diane Zinsel |Comment gérer l’utilisation des écrans pour les enfants de 8 à 14 ans ? Invité par le Conseil d’établissement de Pully, Paudex et Belmont, le psychologue et psychothérapeute Niels Weber, spécialisé en hyperconnectivité, s’est attelé, jeudi dernier, à répondre à cette question. Six points à retenir de sa conférence.


Non, les ados ne souffrent pas d’addiction aux écrans
L’addiction est une maladie, or l’usage excessif du téléphone ne relève pas de la pathologie, annonce d’emblée Niels Weber. Un enfant peut avoir des difficultés de gestion de son temps et de ses émotions face à un écran, mais cela ne fait pas de lui un addict. Pire, le ramener à cette fausse dépendance est stigmatisant.
Poser des limites
« Si on demande à des ados de s’autogérer et de s’arrêter de scroller alors que chaque nouvelle vidéo est spécifiquement calibrée pour susciter une émotion qui est très forte, agréable ou désagréable, c’est impossible. Le cerveau adolescent, qui n’est pas entièrement mature, n’est pas outillé pour le faire », relève le psychologue. Les parents doivent donc mettre des limites. Il faut le voir comme un contre-pouvoir aux réseaux sociaux et aux jeux vidéos. Ceux-ci font tout pour attirer les usagères et usagers via des notifications ou des récompenses, puis tentent de les retenir le plus longtemps possible grâce à de puissants algorithmes, qui mettent l’accent sur des contenus émotionnels, sans que le fond soit « vrai » ou « bon ».
Trouver le bon équilibre
Fixer des limites n’est pas toujours facile, reconnaît le psychologue. Il faut trouver un bon équilibre entre l’injonction à être connecté dès le plus jeune âge, et les efforts pour se déconnecter. Le vrai enjeu, selon lui, n’est pas tant de fixer un nombre de minutes d’écran par jour, mais de répondre aux besoins essentiels de développement et de bien-être de l’enfant. Comme outil, il propose de se demander si « le temps passé sur l’écran aurait dû être consacré à autre chose » et de pousser pour qu’il vienne après celui dédié aux devoirs, aux hobbys, aux interactions en famille. Il suggère aussi de fixer des moments où les écrans n’ont pas leur place. « Pour certains d’entre eux, comme le repas par exemple, la règle peut s’appliquer à toute la famille. On ne peut pas être des parents parfaits, mais on peut viser à répondre ‘suffisamment bien’ aux besoins des enfants », résume Niels Weber.
La surutilisation cache un mal-être
« Si vous avez l’impression d’avoir tout essayé pour fixer des limites, qu’il n’y a rien qui marche et que vous êtes désespéré, il faut envisager qu’il y a probablement autre chose qui dysfonctionne », note le spécialiste, pointant une étude menée en Suisse en 2023, selon laquelle près de la moitié des 11-15 ans vont sur les réseaux sociaux pour fuir des sentiments négatifs. L’écran n’est ainsi pas la cause principale du mal-être, mais est utilisé comme un refuge temporaire à ce mal-être. Selon Niels Weber, cela s’explique par le fait qu’un écran crée un contexte hyper hermétique qui bloque les pensées négatives. Contrairement à un contexte scolaire où la concentration se perd en questions liées au prochain test de maths, à la dispute de ses parents, ou à la crise climatique.
Débriefer
Le psychologue recommande d’utiliser les écrans pour créer du lien avec les ados en discutant de ce qu’ils y ont fait. Cette solution leur permet d’ouvrir le dialogue, de verbaliser et d’identifier ensemble les émotions vécues face aux écrans (colère, joie, frustration). Autrement dit, il s’agit de transformer l’écran en un outil relationnel, plutôt qu’en substitut de relation. En cas de surutilisation, il est indispensable de parler avec les ados de leur pratique numérique afin, d’une part, d’identifier la source de stress, et de l’autre de proposer d’autres ressources qu’un écran.
Transmettre des compétences citoyennes
En Suisse, les enfants peuvent être pénalement responsables dès 10 ans pour ce qu’ils postent. Harcèlement, diffamation, respect, consentement, envoi d’images non sollicitées sont autant d’aspects qui doivent être abordés avec les enfants du moment où on leur donne un accès au monde en quelques clics. En résumé, « ce qu’on ne ferait pas ‘en vrai’ ne se fait pas non plus sur Internet », résume Niels Weber.
« Se rappeler de sa propre adolescence »
« La thématique de la conférence 2025 ‘Enfants, smartphones et réseaux sociaux : quels enjeux ? ’ a été choisie à la suite d’un dérapage survenu dans un groupe de classe de 8P à Pully en 2024 et qui avait largement nourri les discussions lors de l’assemblée générale des parents l’automne dernier », expliquent Tânia Gazzola, Benoît Grossenbacher et Sonia Simos, des parents impliqués dans le Conseil d’établissement de Pully, Paudex et Belmont, à l’origine de son organisation.
A l’issue de la conférence de Niels Weber, tous trois se disent « très contents » de la soirée et des pistes de réflexion que celle-ci a ouvertes. « Je trouve déjà rassurant de savoir que nos enfants, même s’ils utilisent des écrans et ont de la peine à s’en passer, ne sont pas dans le circuit de la dépendance, à la manière d’une addiction à des machines à sous », réagit Tânia Gazzola, maman de quatre enfants. « Notre défi, maintenant, c’est de faire en sorte qu’ils n’aient pas envie d’y passer trop de temps », abonde Sonia Simos, qui en a deux. Cela fait aussi du bien de réentendre que l’opposition des ados aux parents a toujours existé, « ils n’ont juste pas les mêmes outils », ajoute Benoît Grossenbacher. Pour affronter cette situation avec calme, Niels Weber recommande aux parents de se souvenir des bêtises qu’ils ont commises lorsqu’ils étaient plus jeunes : « Même si vous vous sentez impuissants, puisez dans vos souvenirs. Vous avez été ados, vous avez aussi vécu des moments comme ceux que vos enfants vivent aujourd’hui. Vous n’êtes pas si déconnectés ». C’est vrai qu’on est parfois enfermé dans notre rôle de parents, reconnaît Benoît Grossenbacher, papa de deux enfants.


