Les voiliers au patrimoine lémanique
Christian Dick | Autour d’une table ronde au Musée du Léman, quelques personnalités s’étaient réunies pour fêter une nouvelle décennie du musée et pour parler d’un thème général comme « Bateaux de travail et de plaisance, des monuments à conserver ? » On essaiera aussi d’affiner la définition qui nous occupe, conservation s’apparentant à défense du patrimoine.
Etaient réunis autour d’une table ronde l’automne dernier dans les locaux du Musée du Léman à Nyon, Jean-Paul Sartorio et Jean-Philippe Mayerat, constructeurs navals; Lionel Gauthier, conservateur du musée; Carinne Bertola, secrétaire de la fondation pour le développement du Musée du Léman et cheffe de projet de l’extension du musée; Marianne Chevassus, conservatrice adjointe au Musée du Léman; Didier Zuchuat, président de l’APL (Association Patrimoine du Léman) et documentaliste au Musée, Association Patrimoine Léman; Françoise Copponex, fille du fameux architecte naval et régatier Henri Copponex, et présidente de l’Association des Archives Henri Copponex; Yves Rattaz, président de la fondation Bolle, et Laurent Chenu, conservateur cantonal des monuments et sites, et modérateur de la soirée. Bref, des représentants des Monuments historiques, des chantiers navals, des collectionneurs, des chercheurs, des représentants de fondations qui encouragent la pérennisation du patrimoine.
Jean-Paul Sartorio a construit plus de 70 bateaux en bois bordés sur membrure en 40 ans, mais il n’a reçu aucune nouvelle commande depuis 2004. Selon lui, moins de 10% de la flotte lémanique est en bois. Ce chiffre est en baisse constante. La destruction et la vente en sont les raisons principales. Jean-Philippe Mayerat confirme cette tendance et ajoute qu’il reçoit plus de candidatures d’apprentis que de voiliers à entretenir.
L’APL (l’Association Patrimoine du Léman) a été fondée il y a environ 30 ans et participe au sauvetage d’unités existantes comme Le Rhône, La Vaudoise, La Suisse et bien d’autres. Elle a permis la construction d’un voilier 3 tonneaux, le Phoebus II, qui s’est illustré aux Régates royales de Cannes en 2005.
La Fondation Bolle a 8 ans. Elle a été fondée par Jean-Jacques Bolle et sa sœur Blanche Bolle-Fiévet. Elle a pour but la conservation de son patrimoine immobilier historique et toutes actions dans les domaines de l’art, du vin, de la chasse et du lac. Elle décerne tous les deux ans le Prix du patrimoine naval sur le Léman. Le dernier a récompensé en 2013 la restauration du voilier Don Ranudo II à Pierre Frey, le précédent en 2011 à Pierre-Yves Diserens pour la restauration de Janoa, un magnifique 15m² SNS. Ces deux distinctions ont été remises lors des régates des Vieux-Bateaux à La Tour-de-Peilz. En 2009, c’est Jean-Philippe Mayerat qui a reçu cette récompense pour la restauration de Calliope, un voilier 2 tonneaux lancé en 1909. Le représentant de la Fondation Bolle, M. Rattaz, relève que la densité de nos chantiers navals est l’une des plus élevées au monde. Soit, mais tous les chantiers n’entretiennent plus forcément une flotte en bois.
La régate des Vieux-Bateaux à La Tour-de-Peilz donne d’ailleurs une définition précise dans son règlement de course. Il suffit que le voilier soit construit avant 1956 ou réponde au critère suivant: « Construction classique en bois, en bordé longitudinal sur membrures. » C’est simple et efficace.
Henri Copponex, illustre architecte naval et fin barreur, est décédé en 1970 à l’âge de 63 ans. Il a représenté à plusieurs reprises notre pays aux Jeux olympiques de 1948 à 1960 et a remporté de nombreux championnats. Sa fille Françoise entretient un devoir de mémoire qu’elle partage avec Noël Charmillot, écrivain et photographe du lac, régatier et jaugeur. Il s’agit de numériser plus de 400 plans qu’il s’agirait de mettre en consultation au centre de documentation du Musée du Léman.
On le voit, la notion de patrimoine se précise
Il s’agit dans ces derniers exemples de voiliers en bois bordés à l’ancienne. En précisant leurs pensées, les invités développent la notion de savoir-faire, de pesées d’intérêts, d’évolution permanente, de critères esthétiques, d’exploits sportifs et de respect des traditions. En bref, on s’accorde à reconnaître cette qualité selon qu’un bateau est exceptionnel de par son histoire et son palmarès et qu’il s’inscrit dans l’histoire de la navigation lémanique. Le Musée du Léman en donne d’ailleurs une bonne définition sur son site: «Un bateau de construction classique en bois ou bois moulé dont l’histoire, la navigation, la construction, les navigateurs sont rattachés au Léman.» Tout le monde s’accorde aussi à reconnaître que le patrimoine est menacé.
On dit d’ailleurs qu’une réelle menace pèse sur les grandes unités. Selon certains intervenants, il semblerait que l’Ordonnance sur la navigation intérieure requiert des fonctionnaires davantage de technocratie que de navigation. Les règlements qui touchent aujourd’hui aux grandes unités s’appliqueront demain aux autres. On le voit aussi, le maintien d’un patrimoine, comme par exemple celui de la CGN avec ses splendides unités Belle Epoque, ne peut se faire sans la mise en place d’un système de subventions, de récompenses et de valorisation du métier. Pour un privé, un bateau en bois coûte cher, le faire naviguer est affaire de goût, de moyens et de passion. C’est une conjonction compliquée. Pour l’heure une maquette de l’extension du musée est présentée. Il s’agit d’un grand local d’environ 600 m² suffisamment haut pour accueillir un 30m² suédois avec son mat et nombre d’autres unités.
La table ronde se termine par la remise d’un document à signer sous forme de pétition: «Sauvegarde des bateaux de travail et de plaisance du Léman, résolution 2014» où il est question de favoriser le regroupement des anciennes unités dans les ports pour leur assurer une meilleure visibilité, d’inscrire les bateaux de travail et de plaisance à l’inventaire des monuments historiques au titre de patrimoine, de favoriser la présentation permanente d’anciennes unités dans la nouvelle halle à bateaux du Musée du Léman et de valoriser l’apprentissage des métiers de la construction navale et de la pêche.
Bonne consultation et bon vent !
Voici encore quelques sites utiles :
www.museeduleman.ch
www.fondationbolle.ch
www.patrimoine-leman.ch
www.inventairebateauxduleman.ch