La petite histoire des mots
Hallebarde

À l’occasion de sa dernière assemblée des délégués, réunie à Balsthal, dans le canton de Soleure, l’UDC avait garni la tribune des orateurs, parmi lesquels figurait Christoph Blocher, de hallebardes, symbole, selon les organisateurs, de la résistance helvétique. C’est donc sur fond de hallebardes que le président du parti souverainiste, Marcel Dettling, a appelé les patriotes à la mobilisation, estimant que « Notre liberté est en danger (…) par le paquet empoisonné de l’UE ».
La hallebarde, qui se présente le plus souvent sous la forme d’une hache à hampe, dotée d’une pointe de lance à son extrémité, ainsi que d’un crochet, appelé « bec de corbin », ce qui signifie « bec de corbeau », en vieux français, est-elle vraiment une arme emblématique de la Suisse ? La réponse est plutôt … oui !
Certes, selon l’archéologie, des armes de ce type existaient déjà à l’âge du bronze, période qui a succédé au Néolithique vers 2700 av. J.-C. D’anciennes illustrations chinoises, antérieures à notre ère, montrent, elles aussi, des sortes de hallebardes, en forme de lances munies à leur extrémité d’un crochet et d’une lame. En revanche, en Europe, ce sont bien les Suisses qui ont introduit ce type d’armes d’hast, le terme « hast », dérivé du latin « hasta » (la lance), désignant, dans le langage guerrier, une arme composée d’un fer pointu et tranchant, porté par une hampe.
On ignore quand précisément apparurent ces premières hallebardes « suisses ». En revanche, leur usage est attesté lors de la bataille de Morgarten, en 1315, lorsque 1500 Suisses des cantons primitifs mirent en déroute l’armée du duc Léopold Ier d’Autriche, seigneur de Habsbourg. On notera au passage que les Habsbourg tirent leur nom du château et de la commune éponymes, situés dans le canton d’Argovie, lequel n’appartenait pas encore à la Confédération.
Le fait est qu’après Morgarten, l’usage des hallebardes se généralisa dans les troupes confédérées. Selon les historiens militaires, les armées des cantons suisses, composées de paysans et de bourgeois, donc d’hommes à pied, avec peu ou pas de cavalerie, ont grandement favorisé l’émergence de cette arme d’infanterie polyvalente, capable de faire face à d’autres fantassins, mais aussi à des cavaliers lourdement armés qu’il était possible de désarçonner pour les achever au sol.
La hallebarde se montra si efficace sur les champs de bataille, qu’elle fut très vite adoptée par diverses armées du Saint-Empire romain germanique. Ce sont les Allemands qui lui donnèrent son nom. Le mot initial « Helmbarte », qui en haut-allemand associe les mots « Barte » qui signifie « hache », et « Helm », qui veut dire « manche » ou « poignée », est devenu « Hellebarde ». Importée en France vers la fin de la guerre de Cent Ans, l’arme prit, en français, le nom que nous lui connaissons.Notons enfin que l’expression « il pleut des hallebardes » pour désigner une pluie très abondantes, date du XIXe siècle. En ce temps-là, on parlait encore de « lance » pour désigner l’eau de pluie. Il a suffi, par jeu de mots, de remplacer le mot « lance », par le substantif « hallebarde » … Et le tour était joué !