Cinéma – « Ingeborg Bachmann : Reise in die Wüste » au Festival du cinéma germanophone
Au casino de Montbenon, de Lausanne, prenait place la semaine passée le festival de cinéma germanophone. L’événement peu connu donnait quotidiennement accès à trois films allemands du lundi au mercredi.
Clôre un festival avec Ingeborg
Le festival, qui vise à redorer le blason de la langue allemande en Romandie, projetait mercredi passé le dernier film de Margarethe von Trotta. Ingeborg Bachmann : Reise in die Wüste conte ainsi la vie de l’autrice allemande en se concentrant sur ses quatre ans de relation avec Max Frisch, après leur rencontre en 1958, à Paris. De par ce choix de scénario d’abord, le film interroge : centrer le film autour de l’histoire d’amour de Ingeborg met plus en avant son statut d’amante que d’artiste. Le personnage semble par ailleurs beaucoup plus habité par ses amours que par son travail : le film ne montre ainsi jamais le détail de ce pour quoi elle travaille, laissant son œuvre artistique dans une forme d’abstraction pleine de distance. En même temps, il lui fait énoncer son dégoût du mariage et des liens amoureux, tout en la montrant presque uniquement dans ses batifolages. Dans la répartition des actes de la protagoniste entre le faire et le dire, il semble ainsi y avoir un trouble.
Désert de la représentation féminine
Dans ce contexte, un fait surprenant est l’absence quasi-totale d’autres femmes, dans le film de von Trotta. Le monde du film ne comprend aucune autre femme qu’Ingeborg Bachmann. Dans les vingt dernières minutes du long-métrage surgit brièvement le seul autre personnage féminin, sorte de figure d’ingénue à laquelle Ingeborg est indifférente. Le reste du temps, elle est entourée d’hommes pleins d’attentes envers elle. On s’étonne ainsi d’imaginer que la jeune artiste n’a à ce point-là aucun lien à d’autres femmes. Le film de von Trotta ne passe ainsi de loin pas le test de Bechdel, cet outil créé par une dessinatrice américaine visant à se rendre compte de la sous-représentation des personnages féminins dans les fictions contemporaines. Ce dernier repose sur trois critères : il doit y avoir au moins deux femmes nommées (nom/prénom) dans l’œuvre, qui parlent ensemble, et qui parlent de quelque chose qui est sans rapport avec un homme. L’invention de ce test a permis de rendre compte à quel point une majorité d’œuvres contemporaines se concentrent sur la représentation d’hommes. Ce détour par Bechdel permet ainsi de souligner le paradoxe du film de von Trotta : tout en relayant un destin de femme, elle le fait en sous-représentant tout le reste des femmes, en plaçant son héroïne uniquement en interaction avec des hommes, et elle la définit par ces interactions même.
Epilogue
La semaine passée, je regardais le film Sois-belle et tais-toi de Delphine Seyrig. En de longues interviews filmées, Jane Fonda entre autres parlait de la beauté de « ces femmes qui sont
transportées par des idées ». Comment peut-on représenter une des plus grandes écrivaines allemandes du XXe siècle mue uniquement par ses fréquentations ?