Le hors-champ des toiles : Ricardo et la peinture de Barbet Schroeder

Ricardo Cavallo travaille la peinture comme on travaillerait un film : plan par plan, il recrée des paysages en juxtaposant des bouts de toiles peintes. La mise en récit de son approche de la peinture par son ami Barbet Schroeder joue ainsi de ce parallèle sans miser uniquement sur la mise en abyme qu’il présuppose.
Les à-côtés de l’œuvre picturale
Plutôt que de prendre la pratique du peintre comme relais de sa propre pratique, Barbet Schroeder regarde avec tendresse et attention son ami. Sous l’œil concentré de son acolyte, Ricardo observe le monde et le restitue, que cela soit dans son œuvre comme dans ses prises de parole. Le peintre semble ainsi tout mettre en œuvre pour réunir ses forces et son attention dans l’analyse du monde. Ricardo vit en ascète, assumant avec brio un rôle d’artiste qu’il prend dans la société. L’accent du film de Schroeder est ainsi mis sur ses liens aux autres, d’une part par la présence parcimonieuse du cinéaste à l’image, mais surtout par de nombreuses scènes où l’on voit le peintre converser avec ses amis, ou avec des enfants à qui il enseigne la peinture. La présence de son œuvre chez un ami vigneron évoque aussi tout de suite la capacité du peintre à partager son regard sur le monde avec des gens très différents les uns des autres. A plusieurs reprises, ce dernier cuisine en compagnie d’amis et de l’équipe de tournage, ce qui apparait comme une illustration du partage que semble valoriser le peintre tout autant que sa solitude choisie. A ce titre, le cinéaste et son équipe accompagnent Ricardo au bois de Boulogne, un lieu dans lequel il a passé beaucoup de temps. Au pied du grand hêtre qu’il a mis des mois à peindre, l’artiste se souvient d’être devenu dans cet endroit le confident d’une multitude de gens de passage, au point d’avoir l’impression d’être un assistant social pour tout le parc. Le film parvient ainsi à montrer la profondeur de l’œuvre de Ricardo Cavallo en illustrant son hors-champ en termes d’ancrage dans le monde.
Des nains sur les épaules de géants
Parce que Ricardo est aussi passionné par son travail que par celui des autres, le long-métrage le montre souvent en train de se plonger dans l’histoire de l’art. Sa conception de la peinture se précise ainsi dans des passionnants moments de contemplation de tableaux de Velázquez par exemple. Le discours fascine alors par sa sensibilité quant à la représentation, et Barbet Schroeder, le grand représentateur du film, surgit alors finement au cadre dans ce moment bien choisi. Dans de grands livres qu’il collectionne pour la bibliothèque de son école, ou qu’il trouve chez ses amis, le peintre admire ses maîtres et parle de leur génie. Le film reproduit ainsi les tableaux à grande échelle, en dézoomant par instants dans les cadres. L’œuvre de Barbet Schroeder est ainsi pensée comme une balade dans le monde aux côtés du passionnant et éveillé Ricardo Cavallo, qui inspire immédiatement de la sympathie et de l’émerveillement. On sent aussi, dans sa manière de le filmer, l’admiration du réalisateur pour son ami. Le film est ainsi le portrait d’une amitié très humaine, en plus d’être celui d’un homme brillant, une amitié pour contempler le monde à quatre yeux plutôt que deux. La fin du film émeut dès lors par les adieux, alors que Schroeder exprime son envie de rester, mais qu’il conclut « il faut quand-même qu’on fasse les bagages ». En deux plans, un champ contre-champ large, les coups d’œil d’adieux que se lancent les deux hommes l’un après l’autre expriment une dernière fois la valeur de l’amitié.
RICARDO ET LA PEINTURE
documentaire de Barbet Schroeder
France, 2023, 106’, VF, 16/16 ans
A voir au cinéma d’Oron