La rincette, cette tradition vaudoise

Raoul Cruchon, œnologue à Echichens | Non, « Rincette » n’est pas le titre du prochain spectacle de Simon Romang, mais cela pourrait le devenir. Car la rincette est une tradition bien vaudoise, elle fait partie de ces coutumes qui distinguent les Vaudois du reste du monde.
Imaginons un repas entre amis, le déroulement est classique. Apéritif au vin blanc avec quelques amuse-bouche du genre flûtes et bricelets salés. Après ce tour de chauffe, nous voilà fin prêts pour attaquer le repas. Service de l’entrée, parfois d’une deuxième, puis service du plat principal, souvent une viande dont le morceau doit permettre un deuxième service aux plus costauds. Suit l’inévitable fromage pour lequel on aura gardé une place.
L’ensemble est accompagné de vins blancs et rouges soigneusement choisis. Le dessert vient apporter une touche, en principe, conclusive mais c’est sans compter avec les mignardises qui accompagnent le café. Voilà, voilà, tout est fini, tout est dit… et c’est là, à cet instant précis, quand se termine le repas, que le maître de la maison lance un tonitruant et jovial : « Rincette ? » Ce que les invités, surtout mâles, s’empressent en général d’accepter.
La rincette consiste à boire une dernière bouteille de blanc en fin de repas et cela ne peut se faire qu’avec du chasselas. Oui, car cette coutume est totalement liée à la nature même du chasselas et l’effet recherché n’est ressenti qu’avec lui. Qu’est-ce donc ? Vous voilà en fin de repas, repu, la bouche totalement saturée par tout ce que vous avez mastiqué. Les papilles à genoux vous demandent grâce, implorent une trêve, vous supplient d’en finir là. Avec la rincette, vous faites mieux que mettre au repos vos papilles, vous leur offrez une thalasso. Oui, ce chasselas bien frais, léger, digeste, presque nuageux avec son légendaire pétillant, va faire l’effet d’un soulagement, d’une caresse sensuelle, presque d’une extase. La bouche se détend, c’est une résurrection.
Et puis la rincette permet de rallonger le plaisir d’être ensemble. Le Vaudois aime faire durer les plaisirs, s’éterniser dans la fête. C’est comme finir l’Abbaye le lundi soir plutôt que le dimanche. C’est « remettre ça », « une dernière pour la route », « vaut mieux lever le coude que baisser les bras » …
Soit autant de raisons de faire honneur à la rincette, le plaisir ultime que le Vaudois s’offre avant d’aller dormir. La rincette, c’est le jacuzzi du Vaudois !
Article paru dans le Journal de Morges, le 1er septembre 2023