Cinéma – Playlist d’un générique de fin
Décembre musical au City Club de Pully

Charlyne Genoud | Début décembre, la salle de cinéma du Cityclub de Pully devait servir de caisse de résonance à la voix d’Elida Almeida ainsi qu’à celles peuplant la comédie musicale « Un transport en commun » de Dyana Gaye, dont la projection devait précéder le concert. Si la partie musicale a dû être annulée suite aux nouvelles mesures, ce dernier mois de l’année n’en reste pas moins vivement musical au Cityclub, avec la projection du film « Les Magnétiques » de Maël Cordona, et de « Playlist » dont nous parlons aujourd’hui. Un mois harmonieux en salle, comme pour venir boucler le film que fut 2021 à la manière d’un générique.
Pourquoi pas moi ?
En partenariat avec le VIFF (Vevey International Funny Film Festival) qui a présenté le film qui nous occupe dans la compétition internationale de sa dernière édition, le City Club de Pully projette l’histoire fictive – quoiqu’inspirée de la vie de la réalisatrice du film – de Sophie, vingt-huit ans bien qu’elle mente sur son âge, serveuse bien qu’elle souhaite être bédéaste, et célibataire bien qu’elle souhaite être en couple. Une jeune dans sa vingtaine qui se cherche, à l’image de « Julie en 12 chapitres » dont nous parlions récemment dans ces colonnes. En quête d’un autre avenir professionnel, Sophie s’embauche dans une petite maison d’édition dirigée par un fou furieux toxique et méprisant. Sophie passe d’un univers à l’autre : du café, espace pluriel, spacieux et publique au sein duquel chacun évolue avec légèreté, elle se retrouve ainsi entassée dans une minuscule maison d’édition avec ses quatre collègues tous plus bizarres et malsains les uns que les autres. De ces deux univers aux propriétés physiques différentes qui entraînent des déceptions, Sophie s’interroge ironiquement : « Il y a pleins de gens qui ne font pas ce qu’ils veulent dans la vie, pourquoi pas moi après tout ? »
Autant y croire
Des premières images nostalgiques – des gros plans anonymes dans un métro parisien – aux dernières, un air revient fréquemment tant dans la diégèse qu’en dehors : il s’agit de la voix de Daniel Johnston, elle qui, dans sa chanson « True Love Will Find You in the End », nous susurre aux oreilles « don’t be sad, I know you will » donnant à la fois une dimension profondément belle aux errances tant professionnelles qu’amoureuses de Sophie tout en permettant du cocasse. Par sa légère gravité, la musique de Johnston semble en effet revaloriser l’ordinaire, la poésie des portes de métro qui se ferment et celle des gens qui crient dans le wagon. Au-delà de cela, l’interruption sans transition que ce leitmotiv subit permet un renversement radical au haut potentiel comique. Couverts par une voix-over, ces sortes de ponts d’une scène à l’autre constituent le liant d’un film passant en revue beaucoup d’épisodes pour ne raconter finalement qu’une époque de la vie d’une femme, qu’un cycle parmi tant d’autres. La lourde voix du narrateur articule des idées liées à ce que nous montre les divers épisodes vécus par la protagoniste : « On n’est jamais certain que de sa propre version alors quitte à se raconter une histoire, autant y croire. »
Tu les défends et tu les tapes
Comment encaisse-t-on les petites et grandes misères du quotidien ? Centré sur un individu qui se débat au cœur de la société, le récit de Nine Antico questionne les échanges interpersonnels notamment par le biais des violences tant encaissées que renvoyées. La réflexion est parfois directement placée dans la bouche de ses personnages, comme lorsque Sophie, dubitative, constate que la profession d’avocate de sa colocataire se coordonne mal avec son hobby, la boxe : « tu défends les gens et ensuite tu les tapes » lui dit-elle. A d’autres instants, le long-métrage en lui-même semble servir une forme de catharsis pour le public de Playlist, notamment en caricaturant à la perfection certaines situations rageantes mais quotidiennes. Des représentations de violences banalisées qui permettent une forme d’exutoire face à des personnages insupportables et particulièrement bien écrits comme c’est le cas d’une interlocutrice à qui Sophie montre son portfolio. Derrière cet apprentissage de gestion de la violence, elle apprend à ressentir, c’est-à-dire sentir de nouveau ce qui est agréable ou non et, ce faisant, réapprendre à adapter les situations à ces besoins plutôt que ses besoins aux situations.
« Playlist » de Nine Antico, Fiction, France, 2021, 1h28, en français, 16/16 – A voir les 23, 26 ou 29 décembre au Cityclub de Pully

Une bédéaste qui change de cases
Avant d’être cinéaste, Nine Antico est une célèbre autrice de bandes dessinées. Un domaine artistique qui ne passe pas inaperçu dans le premier film de la réalisatrice puisqu’il semble parfois avoir été écrit en planches et en cases, rythmé par des ellipses et des omissions très « neuvième artiste ». Ainsi, alors que Sophie parle tout au long du film de ses dessins, ils n’entreront jamais dans le champ. « Playlist », à la manière d’une bande dessinée, s’appuie aussi sur une flopée de scènes cultes : drôles et piquantes, l’ensemble se combine en un panorama corrosif de la vie de la vingtaine, sans ancrer le récit dans une époque. C.G.