La petite histoire des mots
Prudence

Georges Pop | La pandémie du nouveau coronavirus s’accélère, notamment aux Etats-Unis et en Amérique latine. Elle menace aussi de repartir de plus belle en Europe, et notamment en Suisse. Les autorités politiques et sanitaires appellent chacun à rester vigilant, alors que de nouveaux foyers se manifestent et que les règles élémentaires de prudence sont de plus en plus négligées par nombre d’habitants qui semblent oublier que le virus circule toujours. Voilà qui nous amène au mot « prudence ». Avéré sous sa forme actuelle dans la langue française dès le XIIIe siècle dans le sens de «sagesse», ce substantif a été emprunté au latin « prudentia », terme qui désignait alors des vertus aussi diverses que la compétence, la sagesse et la prévoyance. Prudentia était aussi d’ailleurs le nom d’une déesse personnifiant, évidemment, la prudence. Elle était représentée sous les traits d’une femme à deux visages, l’un regardant le passé et l’autre l’avenir. Les Romains avaient hérité des Grecs une très haute estime de la prudence, hissée au rang de valeur humaine primordiale. Pour Platon, la prudence était le premier des biens divins. C’est d’elle, selon lui, lorsque qu’elle s’associe à la tempérance et à la force morale, que naît la justice. Pour Epicure et Aristote, elle est la mère de toutes les vertus. Les Stoïciens y voyaient quant à eux la source de la maturité chez les hommes. Dépositaire de la philosophie gréco-romaine, la pensée chrétienne, sous l’impulsion notamment de Saint Augustin et de Saint Thomas d’Aquin, fit de la prudence l’une de ses quatre vertus cardinales, aux côtés de la tempérance, de la force d’âme et de la justice. Pour les chrétiens, la prudence est une sagesse qui autorise chacun, en toutes circonstances, à discerner le bien du mal et à choisir les moyens les plus appropriés de l’accomplir. Prudence est aussi, encore de nos jours, un prénom féminin. Il fut en vogue au XVIIe siècle chez les Puritains anglais et américains, très portés sur les prénoms jugés « vertueux ». Depuis, ce prénom n’a pas disparu, mais reste assez rare. Au XVe siècle, Sainte Prudence était une charitable moniale de Côme, en Lombardie. Elle est fêtée le 6 mai chez les catholiques. Les amateurs vétérans de bande dessinée songeront, quant à eux, à Prudence Petitpas, une série franco-belge, mettant en scène une vieille dame confrontée à des énigmes policières, parue pour la première fois en 1957 dans le Journal de Tintin. Actuellement, le dictionnaire donne de la prudence la définition suivante : « Attitude de quelqu’un qui est attentif à tout ce qui peut causer un dommage, qui réfléchit aux conséquences de ses actes et qui agit de manière à éviter toute erreur ». Nombre d’auteurs associent cependant la prudence, ou son excès, à de la lâcheté ou de la couardise. Ainsi, pour le poète pré-romantique britannique William Blake, « la prudence est une riche et laide vieille fille à qui l’incapacité fait la cour ». La prudence serait même un obstacle à l’amour car, selon le mathématicien et philosophe gallois contemporain Bertrand Russel, « de toutes les formes de prudence, la prudence en amour est celle qui peut être la plus fatale au bonheur ». Soit ! Mais relevons, en guise de conclusion, qu’un masque chirurgical ou une bonne dose de gel hydroalcoolique n’empêcheront jamais le virus de l’amour de se répandre à l’infini dans les cœurs…


