Paysans en détresse : il est urgent d’agir
Danièle et Jean-François Rolaz Puidoux | Paysans en détresse, l’émission bouleversante de Temps présent du 26 janvier doit réveiller les consciences. L’esclavage moderne atteint ceux qui nous nourrissent et il est urgent d’agir. Et ce n’est pas uniquement l’affaire des paysans. Cette logique de pression sur les prix, c’est nous tous qui l’alimentons. Si parfois la concurrence permet de trouver des solutions meilleures et stimule la créativité et l’emploi, il y a certains domaines qui ne peuvent plus subir cette pression. Certes l’automatisation et la modernisation du monde agricole permettent de meilleurs rendements mais la limite est atteinte et le fonctionnement biologique de la vache qui broute paisiblement dans nos prés ne peut pas être modernisé.
Mais où est donc le problème?
Coop et Migros sont-ils des monstres du capitalisme? Sommes-nous des consommateurs sans humanité? La fatalité est-elle désormais l’unique sentiment possible? Dans ce genre de situation, il est illusoire de chercher uniquement un coupable pour lui peser sur la tête. Alors comment s’en sortir et redonner une dignité et une raison d’exercer un métier absolument indispensable dans notre pays? Le commerce de proximité est certes une excellente solution mais malheureusement très marginale, sachant que la majorité de la population habite en ville et fait ses achats dans des centres commerciaux. C’est donc bien dans ces «temples de la consommation» qu’il faut chercher des solutions. La formule magique n’existe pas. Les paysans ne s’en sortiront pas seuls et nous devons agir. Dans ce genre de situation, il vaut mieux chercher une équation alliant dialogue, responsabilité et tolérance plutôt que de se murer dans un idéalisme irréaliste.
Dialogue
Si les gros distributeurs ne sont pas des enfants de cœur dans le domaine de la négociation des prix, ils sont un facteur déterminant et incontournable de notre économie. Gottlieb et Adèle Duttweiler, fondateurs de la Migros, ont édictés 15 principes fondamentaux qui regorgent d’humanité. Le 13e principe «placer l’être humain au centre de l’économie» prend aujourd’hui plus que jamais son sens. Le dialogue avec ces acteurs majeurs de notre économie est donc primordial et la responsabilité envers leurs fournisseurs qui leur incombe doit être discutée sérieusement. L’image de ces grands distributeurs s’en trouverait de ce fait fortement améliorée.
Responsabilité
Comment fonctionne un marché? Il y a toujours un vendeur et un acheteur. Et pour que cela fonctionne, il faut (faudrait) que chacun assume sa part de responsabilités. En Suisse, le pouvoir d’achat permet encore de faire des choix responsables pour une grande majorité de la population. C’est quoi un choix responsable? Simplement un choix qui respecte l’autre. Si on est prêt à mettre une certaine somme d’argent dans des vêtements tendances ou un smartphone dernier cri, on doit aussi être capable de consacrer une petite somme supplémentaire pour une alimentation respectueuse des producteurs.
Tolérance
Malheureusement, nous ne sommes pas tous égaux; il y a des situations où le choix n’est pas possible et la recherche du produit le moins cher une priorité. Nous devons aussi accepter ces situations. Concrètement le prix du lait payé aujourd’hui aux producteurs suisses a franchi le seuil de l’indécence. Les marges que s’accordent les gros distributeurs sur le prix final sont peut-être contestables mais elles existeront toujours et ne changeront pas demain. Alors cette équation devra s’articuler en priorité autour de la responsabilité du consommateur qui par ses choix influencera les distributeurs. A l’image de Max Havelaar, il devient urgent de créer un label reconnu dans notre pays pour nos paysans et autres producteurs agricoles qui luttent aujourd’hui à armes inégales contre une mondialisation débridée. Cette démarche doit en priorité se mettre en place sur la production laitière indigène et les principaux produits dérivés, ceci sans protectionnisme. Ce label devra être convenu en premier lieu entre le monde agricole suisse et les grands distributeurs afin de permettre une rétribution «normale» du prix du lait. Pour que cela fonctionne, il est impératif que toutes les parties soient gagnantes: le producteur, par un prix payé décent, le distributeur, par une image plus humaine sans remise en cause fondamentale de la chaîne de production, et le consommateur, par l’achat d’un produit indigène de qualité clairement identifié dans les rayons et respectant «nos» paysans. Alors oui, on peut changer les choses mais pas en détournant le regard. Agissons!