Voile – Les 50 ans du port de Moratel et la Classique des 6.5m SI
L’exposition photographique en plein air illustre l’ampleur des travaux entrepris
Christian Dick | Samedi dernier, les 52 portes de cabines du port de Moratel étaient décorées de photos d’archives racontant les grands moments du port depuis sa fondation. On y découvrait en textes et en images que la compagnie de sapeurs-motorisés 4/10 sous les ordres du Lt Robert avait commencé les travaux de pilotage de la grande digue, et en 1958, que le futur port de Moratel prenait déjà forme avec l’avancement de la digue en 1960, que la place d’un voilier comme le mien, d’une dimension de 7.80 par 2.20, coûtait à l’année Fr. 429.- en 1964, qu’en 1965 la location d’une cabine coûtait Fr. 300.- par année, qu’en 1966 le camping était coincé entre les tas de cailloux de la Sagrave et la construction du quai nord du port, que le boulanger d’alors, M. Bugnon, exploitait un petit tea-room au bord de la plage, devenu pavillon des bains en juillet 1958, puis café-restaurant de la Cambuse en 1964, alors que le port était toujours en construction.
« Pourquoi me suis-je arrêté ici ? » s’étonnait ce jeune Allemand dans Construire du 29 juillet 1970. « Prenez la peine de regarder autour de vous. C’est beau à vous couper le souffle… Que demander de plus à la vie ? ». Parmi les péripéties, des photos montrent un camion repêché au bout de la digue alors que son chauffeur a pu sortir du véhicule sous l’eau et regagner le rivage à la nage, et l’échouement de l’Italie le 31 décembre 1967.
Finalement et après 20 ans de délibérations, d’aventures et de travaux, l’inauguration officielle du port de Moratel a pu avoir lieu le 2 septembre 1972. 50 ans plus tard, l’exposition photographique en plein air illustre l’ampleur des travaux entrepris ainsi que la vie de ce site magnifique au cours des ans. Le programme, varié, permettait entre autres de suivre la régate de la Classique des 6.5m SI depuis des embarcations pilotées par des locataires du port. La soirée s’est terminée avec une animation musicale et un choix de menus.
Le président, Olivier Dufour, donnait pour sens à cette manifestation ce que résumait une affiche de 1957 invitant la population de plus de 16 ans à rejoindre la SPBMC (Société du Port et des Bains de Moratel-Cully) pour une plage et un accès gratuit au lac, un camping résidentiel, un port moderne, sûr et ouvert à tous et une merveilleuse promenade dans un site incomparable… pour une cotisation annuelle de Fr. 5.-, et que ces vœux d’autrefois, ces valeurs d’aujourd’hui, perdurent.
La course
La régate des Classiques, courue samedi et dimanche, accueillait 12 équipages, 8 Classiques et, pour l’occasion, 4 Modernes, pour la plupart des locaux, les autres venant des ports de Villeneuve, Vidy, La Tour-de-Peilz et Lausanne.
Trois courses ont été disputées samedi, toutes dans des conditions assez semblables avec des airs du sud-ouest, et deux seulement dimanche, les airs peinant à se lever.
Au classement général, Bruno Engel a remporté cette Classique des 6.5m SI sur Triplette devant Christian Monachon sur Ondine et Frédéric Reymond sur Lof Machine, les deux premiers étant des Classiques.
Port de Moratel, 1939
André Mercier | L’habitude vient vite. Aujourd’hui, le port de Moratel est si bien intégré au golfe de Cully qu’il faut faire un effort pour imaginer combien, avant lui, par mauvais temps, le rivage pouvait être inhospitalier.
Si l’histoire ne se refait pas, elle peut se raconter. Permettez-moi, chers amis de Cully, de vous exprimer à la fois le souvenir d’une aventure et les sentiments de reconnaissance qui lui sont liés.
C’était en 1939.
Le soussigné, sur son 6m50 d’alors «Elpénor», faisait sa première régate interville Ouchy – La Tour, avec comme équipage son compagnon de montagne Pierre Blanc et l’épouse de ce dernier. Avant le départ, les marins d’expérience de l’époque nous avaient, comme il se doit, farci l’esprit des périls multiples qui nous attendaient le long de la côte terrible « Que ferez-vous si la bise se décharne et tombe furieuse et verticale du haut du Dézaley ? Savez-vous qu’à terre ses tourbillons fous plument l’eau dans tous les sens ? Quel port choisirez-vous pour vous réfugier si vous êtes pris par la grosse vaudaire? Si c’est le bornan qui vous assaille, ce vent qui renverse jusqu’aux wagons de chemin de fer, penserez-vous à faire votre prière ? »
C’est ainsi que, munis en abondance des viatiques spirituels de circonstance, nous partîmes pour notre partie de plaisir en compagnie d’une demi-douzaine d’autres voiliers d’Ouchy.
Un joli rebat, curieusement axé sur Tourronde, nous mena vite au large de Lutry.
Passé Villette, la Savoie, déjà fortement assombrie, devint progressivement aussi noire qu’un cul de marmite; sur le fond lugubre, les voiles des bateaux concurrents se profilaient idéalement blanches. Au large du creux de Cully, d’un coup brutal, méchant, sauvage, le bornan fut sur nous.
Malgré le foc rapidement enlevé, le bateau coucha et, toute erre aussitôt cassée, se mit à plat sur l’eau.
Il fallait rouler. Prestement cinq tours furent pris dans la voile. Le vent forcit encore. Sous l’effort, les vis en acier du cliquet de bôme, toutes neuves, se cisaillèrent. D’un seul coup, les tours de ris se libérèrent et toute la toile se trouva en l’air; pochant dangereusement sous la rafale.
Nous dûmes tout descendre. N’étant plus appuyé par la voile, le bateau se remit droit, mais alors la vague, devenue grosse, se mit à embarquer comme chez elle dans le voilier qui s’obstinait à rester travers à la lame. Pour éviter de couler bas, il importait absolument de faire face aux vagues. Nous y arrivâmes, en faisant pendre l’ancre à l’avant avec tout son chavon.
La dérive était rapide et la côte proche, pour éviter d’y être jeté, il fallait de toute urgence remonter de la toile.
Au milieu des éclairs mouillés qui, de toute part, tombaient à la verticale dans le lac sans faire plus de bruit qu’une allumette éteinte dans un verre d’eau, et, sous une pluie diluvienne, nous roulâmes la voile à la main, au moins dix tours, et remplaçâmes le cliquet défaillant par une solide fortune en filin, et ancre relevée, nous hissâmes à nouveau ce qui restait de
la grande voile afin de remettre en route.
A cet instant, surgie du néant, une voix bien timbrée, aussi forte que
sympathique, se fit entendre à nos côtés.
« Prenez cette remorque ». C’était le canot du sauvetage « La Ville de Cully », avec Loulou Bovard à la barre, et un équipage de fortune
composé en partie d’automobilistes arrêtés par l’orage, extraits de
leurs voitures par la force persuasive du patron du sauvetage.
Partagés entre le désir de nous tirer d’affaire par nos propres moyens et la sécurité qui s’offrait miraculeusement, nous hésitâmes un court instant.
Nous nous vîmes alors mouillés jusqu’aux os, sous nos habits de montagne, grelottants à qui mieux mieux, avec en perspective une nouvelle passée en vaudaire cette fois…
La sagesse l’emporta. Nous prîmes la remorque, soulagés et reconnaissants. Quelques minutes après, le voilier était solidement ancré
et l’équipage transi pris en charge par des maisons amies.
En deux temps, trois mouvements, chacun était mis au sec, dorloté, réchauffé, réconforté vous devinez comment.
Je me souviens encore des premiers marcs et des premières lies bus comme de l’eau, puis tout sombra dans la plus épaisse des brumes…
Merci à vous, gens de Cully.
Nous remercions Pierre Mercier de nous avoir aimablement transmis cette tranche de vie à l’occasion des 50 ans du port de Moratel | La rédaction