Viticulture – Succession à Saint-Saphorin
Sur le balcon du Léman, la relève s’amorce tranquillement. L’envie et l’énergie de la nouvelle génération de vignerons ne manquent pas.
Dans le pittoresque village de Saint-Saphorin, le domaine Les Fosses est l’un des derniers à produire ses vins sur place. Les vignerons installés sur la commune sont de moins en moins nombreux. Et la tendance n’est pas à la hausse.
Texte et photos Manon Hervé | Soumis à plusieurs limitations par les lois de protection de Lavaux, Saint-Saphorin ne donne pas une large marge de manœuvre à ses habitants. Pour les jeunes vignerons qui voudraient s’y installer, il est presque impossible de construire une nouvelle cave. Quant aux anciens qui voudraient effectuer des aménagements extérieurs, ils sont vite bloqués. Les restrictions sont strictes. Et c’est bien dommage, car le village, classé depuis 2016 parmi les « Plus Beaux Villages de Suisse », a un énorme potentiel attractif.
« On a beau faire toujours le même produit,
le résultat n’est jamais le même » Benjamin Chevalley
Bernard Chevalley, vigneron des Fosses, y encave un peu moins de trois hectares, répartis sur l’appellation Saint-Saphorin. Son fils, Benjamin Chevalley, assure l’unique relève familiale du village. Entré à Changins en 2021, Benjamin a toujours su qu’il serait vigneron. Après des années à faire la petite main-d’œuvre pendant les vendanges, il a fait un CFC partagé entre la ville de Lausanne et le domaine Mermetus. A 16 ans déjà, le jeune homme s’intéressait au bio, convaincu de son importance pour la viticulture de demain. Mu par la volonté de sortir de sa région, il a ensuite appris aux côtés de Philippe Bovet à Givrins pour voir le travail des vignes avec le tracteur (chose impossible en Lavaux). Il a complété sa formation par une année de stage au Petit Château chez Simonet, au Vully, intéressé par le concept marketing du domaine. « Je voulais comprendre comment il peut vendre une bouteille à 100 francs » sourit-il. Curieux de tout, le garçon ! A 21 ans seulement, il a déjà un bel aperçu de ce qui se fait dans le monde du vin.
Au domaine Les Fosses, la gamme se compose de 5 cuvées, Chasselas, Viognier et assemblages de rouges. Père et fils ont dernièrement planté de la Syrah pour en faire une cuvée monocépage. A terme, Benjamin s’imagine bien planter du Plant Robert, cépage représentatif du vignoble local, voire même de la Petite Arvine, quitte à faire rougir les Valaisans…
Rien ne presse toutefois, la relève officielle n’aura pas lieu avant une dizaine d’années. Cette année, Bernard Chevalley fête les 20 ans de sa propre reprise du domaine à son père en 2003. Pour l’occasion, il a produit une bouteille sérigraphiée de la cuvée Les Fosses. Le vigneron entend bien célébrer ses 30 ans à la cave. Ainsi, Benjamin a le temps d’étancher sa soif de connaissance. Le Jura français l’intéresse pour son vin jaune, l’Allemagne pour la langue… Tout est bon pour l’inspirer.
Non loin de là, sa cousine Marine Chappuis est, elle aussi, en pleine formation pour prendre la suite de son père.
« Le travail de cave m’a toujours plu »
Marine Chappuis
Christophe Chappuis a eu trois filles, un homme heureux donc. Seul bémol, la relève familiale n’était pas gagnée. Marine, l’aînée, s’est spécialisée dans l’hôtellerie jusqu’en 2019. Mais comment ne pas garantir une relève familiale lorsque l’on grandit dans un domaine marqué par 7 siècles de tradition ? Parmi la gamme, une cuvée spéciale « 1335 » de vieilles vignes de Saint-Saphorin fait honneur à la date à laquelle la famille Chappuis est établie en Lavaux.
Passionnée par l’arbre généalogique de sa famille, Marine représente la 20e génération. Son amour du vin l’a fait revenir au domaine assurer la filiation. Depuis toute petite, elle aide son père à la cave. Ni une ni deux, elle se lance dans un apprentissage de caviste. Actuellement à l’Union Vinicole de Cully, à la suite d’Emilie et Maxine (ndlr : numéro Rivaz et numéro Riex), elle se découvre, sous la houlette de Fabien Bernau, une véritable passion pour le travail à la cave. « Dès la première semaine à l’UVC, j’ai su que j’avais trouvé mon métier » s’exclame-t-elle.
Son CFC termine en août 2024, Marine enchaînera idéalement avec un stage en Suisse allemande pour apprendre la langue puis avec l’ES Changins.
En parallèle, la jeune femme a plein de projets pour le domaine familial. Complémentaires, son père et elle prévoient de se partager les tâches. Etre à deux leur permettra de développer de nouvelles choses. Forte de sa formation hôtelière, Marine souhaite faire la patente caveau afin de pouvoir organiser des soirées à thème et servir de la petite restauration. Elle prévoit également de mettre ses compétences hôtelières à profit en développant l’oenotourisme au domaine, sous la forme de chambres d’hôtes.
A l’intersection entre Chexbres, Saint-Saphorin et Chardonne, Laurent Cossy a repris en janvier dernier la tête du domaine des Rueyres. Après un CFC vigneron, des apprentissages qui l’ont amené d’Epesses à Yvorne en passant par le lac de Bienne et une spécialisation à Changins, Laurent a commencé à travailler avec ses parents à la cave familiale. Depuis plus de 6 ans, il est chargé des vinifications et décisionnaire de la création des vins. La reprise s’est ainsi faite en douceur.
« La clé pour moi, c’est de se diversifier »
Laurent Cossy
S’il n’a pas beaucoup l’occasion de passer ses journées dans les vignes, occupé par les milles métiers qui constituent le sien, Laurent se passionne pour les possibilités qu’offre le vignoble. Sa parcelle de 3000m² d’un bloc à Saint-Saphorin est une source perpétuelle d’inspiration. Là-bas, la famille a planté des variétés originales : Mondeuse, Cabernet Sauvignon, Merlot, Malbec… En 2019, Laurent, amoureux des monocépages, produit la première cuvée de Malbec pur. Une réussite. Suivie par une cuvée 100 % Sauvignon Blanc. Quant à la Mondeuse, « c’est un régal à la cave », confie Laurent.
Il voudrait produire une Petite Arvine avec sa vigne en Valais, ou encore planter du Nebbiolo sur sa parcelle de Saint-Saphorin pour faire un Barolo à sa sauce. Il veut valoriser les rouges de la région : « On a encore une mauvaise image des rouges vaudois, je me bats pour changer ça ».
Son invention marquante, un rhum local !
Sensible aux circuits courts et aux produits de proximité, cet amateur de rhum a réfléchi à la façon d’en consommer sans qu’il ne vienne d’aussi loin. Ainsi, la mélasse de betterave a remplacé la canne à sucre. Un fût de mélasse, une distillation et quatre années de barrique plus tard, son premier rhum est sorti – en 2019 également, année de tous les possibles. Libéré des normes, tel un savant un peu fou, Laurent s’amuse à tester de nouvelles choses, quitte à casser les codes. Il tient cette créativité de son grand-papa, précurseur en son temps. Le jeune homme souhaite « conserver une part essentielle de tradition tout en développant des idées innovantes ». On ne s’inquiète pas pour lui, des idées Laurent n’en manque pas !