Viticulture – La transmission à Lutry
Sur le balcon du Léman, la relève s’amorce tranquillement. L’envie et l’énergie de la nouvelle génération de vignerons ne manquent pas.
Par Manon Hervé
C’est un symbole à Lutry, bien qu’elle appartienne à la Ville de Payerne : au cœur des vignes, la Tour Bertholod domine le lac avec élégance. Autour de cet édifice médiéval s’étendent les vignes de la Cave l’Abbatiale, domaine de la Ville de Payerne géré par Arthur Pidoux et Gilles Musy.
Arthur Pidoux n’est pas issu d’une famille vigneronne mais sa route a croisé celle de Nicolas Pittet, vigneron-tâcheron pour la Ville de Payerne avant lui, qui lui a fait prendre goût au vin. En 2019, après un apprentissage à Marcelin, différentes formations qui l’ont mené de Schaffhouse au Palatinat allemand et son diplôme à Changins, Arthur commence à travailler pour la Cave de l’Abbatiale comme chef de culture intendant. Au départ de Nicolas Pittet, il reprend la gestion de la surface de vignes de Lutry et Villette pour la Ville de Payerne. Vigneron-tâcheron un peu particulier, Arthur est impliqué dans le travail de cave et la vente des vins. Il travaille en duo avec Gilles Musy, responsable de la vinification faite au Château de Montagny. Ensemble, tous deux ont créé un domaine de vignerons-encaveurs. Ils se concertent sur toutes les décisions, à la vigne comme à la cave, le but étant que chacun puisse suivre toutes étapes de l’élaboration du produit. Arthur accueille les clients au Château de Montagny à Villette tandis que Gilles se charge des locaux de réception à Payerne dans l’objectif d’avoir toujours quelqu’un disponible pour expliquer le travail du vin au client. La clientèle repose en effet à presque 50 % sur les particuliers et nécessite un certains investissement.
A la vigne, le grand projet du moment est le ré-encépagement du domaine
« On s’amuse beaucoup avec le Chasselas, reconnaît Arthur, et c’est une variété qui nous permet de faire des études de terroir poussées. Mais nous voulons aussi avoir des cépages uniques ». Conserver une part de tradition donc mais en réduire la quantité pour diversifier.
De plus, la très grande majorité de la production est vendue à Payerne où la demande en Chasselas est plus réduite que dans notre région. Ainsi, Merlot, Sauvignon Blanc, Savagnin ont vu le jour, et bientôt du Malbec.
Quant au mode de culture, Arthur a diminué les rendements et aboli les herbicides dès son arrivée. La volonté du duo est
d’aller vers la culture biologique, des essais à grande échelle sont faits en ce sens depuis 2021.
L’objectif pour Arthur et Gilles est aujourd’hui de développer la commercialisation en Lavaux. Pour cela, ils s’appuient sur l’image de marque de la Cave l’Abbatiale avec des cuvées « Tour Bertholod » et « Château Montagny » fraîches et digestes qui plaisent aux jeunes consommateurs.
Tout en haut de Lutry, à la lisière de la forêt, Stéphane Blondel a repris depuis janvier 2021 le domaine familial après 10 ans de collaboration avec son père. La période Covid a été décisive : nouveaux challenges, nouvelle direction.
S’il n’était pas forcément intéressé par la reprise de la cave dans ses jeunes années. Stéphane s’est par la suite rendu compte de la chance immense d’appartenir au patrimoine local. A 25 ans, avec déjà deux CFC de vendeur et gestion de vente à son compte, il enchaîne avec un troisième en Viti, puis le brevet fédéral à Changins.
Chez les Blondel, la notion familiale a son importance : tout le monde met la main à la pâte. Sa mère cuisine pour les employés, son père l’aide pour les livraisons et la réception des clients, sa femme participe aux événements et à l’administratif… Toute la famille est investie pour faire vivre le domaine. Stéphane souhaite développer la réception client avec des événements à la cave, en plus de sa présence à différents salons et marchés. « Pour toucher les jeunes, il faut aller se faire connaître à l’extérieur. Mais nous voulons aussi faire bouger le domaine et faire venir les gens » explique-t-il. Avec la cave, c’est un triple travail pour le vigneron-encaveur qui regrette la quantité de travail que représentent les vignes et aimerait pouvoir consacrer plus de temps à la vente et aux clients. Pour se dégager du temps, Stéphane a investi dans des machines après un travail de 10 ans pour obtenir des
parcelles mécanisables.
Passionné de cave, il fait une multitude d’essais. Il a développé sa gamme barrique avec un Merlot, un Mara et… un
Chasselas élevé en fût d’acacia ! Il entend toucher une nouvelle clientèle avec des vins plus gastronomiques.
Quid du lieu de production Lutry et de son dynamisme ? Aussi bien Stéphane, investi dans le comité du caveau, qu’Arthur le reconnaissent : la ville bouge beaucoup, notamment grâce à la SDL, et l’événementiel est largement soutenu par la commune. « Les vignerons sont bien intégrés au paysage de Lutry » souligne Arthur. Ils sont en effet présents chaque samedi sur les marchés, ou lors des concerts sur les quais. Ils sont aussi les premiers à participer aux événements. « C’est donnant-donnant », sourit Stéphane.
Au domaine de Bory, chez la famille Rouge, on s’y connaît en organisation d’événements mettant à l’honneur les vignerons. La famille est à l’initiative de la Folle Semaine, actuellement en cours jusqu’à samedi soir, qui accueille des artistes pour des concerts au milieu des vignes sur fond de Chasselas et autres crus de Lutry.
Camille Rouge est l’une des initiatrices de ce festival, inspiré de son voyage d’échange de chorale au Bénin et des rencontres qu’elle y a faites. La jeune femme n’était pas vraiment partie pour travailler au domaine. Assistante dentaire pendant dix ans avant de décider de se réorienter, elle se lance en 2015 dans la formation Viti de Marcelin.
Clément Rouge, de neuf ans son cadet, s’est, lui, tout de suite orienté vers la même formation. Résultat, en 2016, frère et sœur effectuent leur rentrée des classes ensemble à Marcelin.
A l’issue de sa formation, Camille travaille directement au domaine pour apprendre sur le terrain. Elle se forme en parallèle pour l’œnotourisme au sein du réseau Vaud œnotourisme et assure aujourd’hui tout ce qui touche à la promotion et communication du domaine, représentation sur les salons et vente.
Clément, de son côté, travaille à plein temps à la cave familiale depuis mai 2022 après sa formation à l’ES Changins. Aujourd’hui au domaine de Bory, toutes les décisions sont prises à quatre avec les parents, Olivier et Régine.
Clément, qui a fait une patente de viticulture bio et biodynamie, considère le bio comme une possibilité mais pas dans l’optique de s’y contraindre avec un label. « Nous préférons avoir un optimum entre bio et conventionnel pour obtenir quelque chose de raisonné » détaille-t-il. Depuis cette année, il traite les vignes au drône dans un objectif de praticité.
A la cave, Camille et Clément font des essais, tel leur Gamay barrique qui s’est ajouté à la gamme.
Dans la lignée de leurs parents, tous deux veulent mettre en avant une approche conviviale du vin et l’idée de partage. Pour cela, le fort dynamisme de la localité de Lutry est un avantage certain. « Lutry a su garder son patrimoine viticole et les vignerons sont bien soutenus par la commune ». Très investie dans les manifestations locales, la famille Rouge insiste sur l’importance de partager la vigne et le vin. Retrouvez-les vendredi et samedi chez eux dans le cadre de la « Folle Semaine » pour partager un sympathique instant de tradition viticole.