Viticulture – La continuité à Cully
Sur le balcon du Léman, la relève s’amorce tranquillement. L’envie et l’énergie de la nouvelle génération de vignerons ne manquent pas.
A Cully, la cave du Petit Versailles des Frères Dubois est un incontournable. Christian Dubois a su insuffler la passion du vin à ses fils. Ses petits-enfants, Emma et Quentin Dubois, ne sont pas en reste. Emma a toujours su qu’elle ferait du vin. Gamine, elle participait aux vendanges chaussée de ses bottes Hello Kitty. Pour son frère aîné, la décision était moins évidente. Quentin a d’abord été vendeur en téléphonie avant de revenir au domaine familial en 2021 pour se charger de la partie administrative et marketing. Hésitant à son arrivée, ses doutes se sont rapidement dissipés et très vite, il a appelé sa sœur pour la presser de le rejoindre. En juin 2022, Emma termine son CFC à Marcelin, fait les vendanges en Provence, avant de finalement rejoindre la cave à Cully aux côtés de son oncle Frédéric. « On est tellement mieux à la maison » confesse cette amoureuse de la tradition familiale. Aujourd’hui, frère et sœur répètent le modèle de leur père et oncle, l’un chargé des relations commerciales et du bureau, l’autre plutôt dédié à la cave.
Emma a lancé sa propre étiquette au sein de la maison : la Vème, en hommage à la cinquième génération qu’elle représente. Une gamme de cuvées uniques, élaborées et originales. Son Dézaley 2020, premier cru de ce projet et gros succès auprès de la clientèle des Dubois, sera bientôt rejoint par un Plant Robert en cuvage long et élevage en amphore ainsi que d’un vin orange qui mûrit actuellement en barrique.
Emma et Quentin comptent bien conserver la tradition et faire honneur à leur histoire. Tout en développant des cuvées « sexys » pour séduire leur génération. A l’instar de la gamme Lune, créée par Frédéric et Grégoire, qui a déjà participé à rajeunir la clientèle. La structure bien installée de la cave leur permet de pouvoir s’amuser sur des essais expérimentaux. « On a un immense respect pour ce bel héritage familial » conclut Quentin.
Gaël Cantoro, fils du vigneron Rocco Cantoro, à Grandvaux, est vigneron pour la commune de Bourg-en-Lavaux depuis 10 ans. Durant son apprentissage, il s’est formé sur La Côte, à Zurich puis à Lutry afin de voir différentes façons de travailler. Après ses études à l’école de Changins dans la cave de laquelle il travaillait en parallèle, il reprend le poste de vigneron-tâcheron pour la commune. « J’ai eu de la chance qu’ils fassent confiance à un jeune de 22 ans à l’époque » reconnaît-il. Responsable de la gestion de la surface viticole, Gaël est chargé de 9 hectares de vignes au total, répandus entre Villette, Epesses et Calamin, correspondant à la partie encavée par la commune. Il effectue le pressurage et le cuvage des raisins, vinification et élevage sont faits à façon par les Frères Dubois
Gaël a pour projet de développer la mécanisation dans le vignoble. Il a la chance d’avoir de gros blocs de vignes et des parcelles qui s’y prêtent. Les vignes remplacées sont soigneusement plantées avec une orientation nord/sud pour favoriser le passage à la machine. Afin d’anticiper une éventuelle interdiction des pesticides et potentielle volonté de la commune d’effectuer une transition vers le bio, le vigneron prépare le terrain. Il n’utilise plus l’hélicoptère depuis trois ans et fait les effeuilles et traitements mécaniquement. Il compte accroître le travail des sols, avoir des vignes enherbées par des engrais verts pour ameublir les sols qui ont une forte tendance au tassement. Il a également varié les porte-greffes afin d’analyser le comportement de la vigne pour mieux résister à la sécheresse et tenter de retarder la maturité afin de préserver une certaine acidité des vins. Tout est une question d’adaptation.
Président cantonal des vignerons-tâcherons depuis cette année, il se soucie d’adapter le contrat des membres pour le travail de la vigne en bio. « C’est un statut particulier, explique Gaël, qui a ses avantages et ses inconvénients ». Les tâcherons se font moins nombreux en Lavaux. Non pas que la tendance soit à la disparition de cette forme de métier, plutôt qu’ils s’occupent de surfaces de plus en plus grandes afin de pouvoir amortir des investissements conséquents. Si le statut peut offrir une certaine sécurité de l’emploi (la rémunération n’étant pas directement liée à la vente des vins), il a l’inconvénient de ne pas permettre de suivre la totalité de la confection du produit. Pour cela, Gaël a de la chance : il suit les vinifications chez son père à Grandvaux où il participe à la création du produit fini. Le meilleur des deux mondes !
Sur les hauteurs de Cully, au sein de la petite localité de
Chenaux, un autre duo de frère et sœur assurera la relève chez la famille Fischer pour 2024.
Adolescent, Alexandre Fischer aimait sentir les odeurs du vin, de la vigne à la cave. Le métier de vigneron était une évidence. Pour sa sœur, Valérie Fischer, rien n’était moins sûr. La jeune femme voulait être esthéticienne. A 16 ans, elle donne un coup de main dans les vignes et se prend de passion pour le métier. Direction le CFC à Marcelin à la suite de son frère aîné.
Après une expérience à Bordeaux, Alexandre se forme, en parallèle de Changins, chez Schenk – pour l’expérience d’une grande cave – puis au Château de Rochefort – pour comprendre la biodynamie. Curieux de cette pratique, il devient caviste et vigneron chez Yvan Parmelin, l’un des pionniers du bio. Aujourd’hui, Alexandre a créé son petit laboratoire pour expérimenter sur une parcelle voisine de la maison familiale. Il n’envisage pas tout de suite de convertir le domaine familial au bio, trop risqué pour l’instant. « Il est intéressant d’avoir bio et conventionnel dans la gamme, affirme Valérie, cela permet de toucher plusieurs types de clients ». Pour sa part, la jeune femme s’est beaucoup formée sur le terrain avec son père. Elle connaît bien la maison. Installée depuis 2012 sur La Côte, elle se charge de la partie du domaine à Coinsins.
Frère et sœur souhaitent tous les deux accroître la vente de bouteilles pour favoriser la collaboration avec les particuliers. Grâce à l’œnotourisme mis en place par leurs parents, ils peuvent se reposer sur une forte clientèle privée.
Alexandre donne des cours à Marcelin et se réjouit de voir les élèves plus ouverts que les générations précédentes. « On se bat entre Vaudois pendant que le Prosecco nous envahit » ironise le vigneron. Pédagogue, Alexandre éduque les petits comme les grands. Avec l’Ecole à la ferme, il reçoit des enfants dans les vignes pour leur expliquer son travail. Sur sa propre initiative, le 18 juin prochain, il accueille des membres de différents
partis politiques pour mettre les bois dans les fils. L’objectif ? Sensibiliser. Et montrer que dans la nature, nous sommes tous égaux. Alors autant se serrer les coudes.
Texte et photos Manon Hervé