Un hommage mérité à la « femme poésie» à l’occasion de ses 95 ans
Pierre Jeanneret | Corinne Renevey a consacré un livre chaleureux à Mousse Boulanger, qui a joué un rôle considérable dans la vie culturelle en Suisse romande et au-delà. De son vrai nom Berthe Neuenschwander, elle est née en 1926 à Boncourt en Ajoie. Elle est en partie issue d’une famille d’anabaptistes bernois qui a dû s’exiler en Alsace, puis est revenue en Suisse dans le Jura. Mais la foi profonde de sa jeunesse l’abandonnera. Son père travaille comme mécanicien dans la fabrique de cigarettes Burrus, qui domine économiquement la région. La famille, aimante, a sept enfants. Berthe – mais appelons-la dès maintenant Mousse à l’image de ces végétaux qu’elle aime – vit une enfance heureuse, en contact étroit avec la nature, les oiseaux, les plantes, qu’elle exaltera plus tard dans sa poésie, avec simplicité et sans affèterie. Son adolescence se déroule pendant la guerre. Elle fréquente le gymnase de Porrentruy. Elle travaille ensuite à Bâle puis à Londres, où elle acquiert une conscience politique très à gauche. Elle adhère rapidement, à Genève, au Parti du Travail, dont elle sera une militante active. Elle est encore aujourd’hui une fidèle du POP vaudois. « Toute jeune déjà, elle aimait par-dessus tout la liberté, source de toute poésie », comme le dira un de ses amis dans une pièce radiophonique.
En 1953, alors qu’elle est à Yverdon avec une troupe théâtrale, elle fait la rencontre de l’homme de sa vie : c’est Pierre Hostettler, comédien, diseur et mime, qui a pris le nom d’artiste de Pierre Boulanger (comme le métier de son père). Entre eux naissent un grand amour et une intense complicité artistique, qui durera jusqu’à la mort prématurée de Pierre. Une bonne partie du livre permet aussi de mieux connaître cet homme attachant et cet artiste prodigieusement inventif. Ils auront ensemble un fils, Grégoire, lui-même poète et photographe. En 1955, ils lancent ensemble, sur les ondes de la Radio romande, l’émission radiophonique de Marchands d’images, où ils disent des textes de Hugo, Nerval, Supervielle, Apollinaire, Ramuz, Eluard et bien d’autres. Puis s’enchaînent les émissions et les créations, si nombreuses qu’il serait vain de vouloir les nommer toutes ici ! A côté de ses recueils de poèmes, Mousse Boulanger a écrit aussi des contes pour enfants, des nouvelles et des romans. En 1960, le couple s’installe dans le village de Mézières, près du Théâtre du Jorat, aussi appelé la Grange Sublime. Ils se lient d’amitié avec le grand poète Gustave Roud. Ils font aussi des tournées à l’étranger, notamment en Bulgarie. Ils sont les premiers Suisses à être invités au Festival d’Avignon. Pour Mousse, la poésie et le théâtre sont des arts populaires qui ne doivent pas être réservés à une poignée de privilégiés. Ils participent de son profond humanisme et sont liés à son engagement politique.
En 1978, coup de tonnerre : Pierre Boulanger meurt brutalement d’une amibiase, suite à un séjour au Sénégal. Effondrée, Mousse remonte pourtant un mois après sur les planches. Elle s’engage dans le syndicat Syndicom. Elle défend les droits d’auteur, à la tête de ProLitteris. Mais surtout, elle multiplie les activités créatrices.
La biographie de Corinne Renevey témoigne aussi de conflits, notamment avec Jacques Chessex, ou à propos de la succession littéraire de Gustave Roud. On ne s’étonnera pas outre mesure du fait que Mousse Boulanger a été longtemps snobée par le milieu universitaire… Elle mérite enfin d’être reconnue, avec son mari, à sa juste valeur, et pour son apport important à la poésie, au théâtre, à la radio, en un mot à la vie culturelle en Suisse et en Europe. Ce livre plein d’empathie y contribue.
Corinne Renevey, Mousse Boulanger.
Femme poésie : une biographie, Vevey, Ed . de L’Aire , 2021, 239 p.