Théâtre du Jorat, Mézières – Une nouvelle porte d’Auteuil
Daniel Auteuil en concert le 31 mai, à la Grange Sublime
Annulé l’année passée, Daniel Auteuil sera cette fois-ci bien présent au Théâtre du Jorat le 31 mai pour un récital de chant inédit. L’occasion de découvrir l’interprète d’Un coeur en hiver et de La fille sur le pont dans un costume que l’on ne l’a vu que rarement porter.

Sortir d’un carcan, de l’image que l’on s’est construite de nous des années durant, oser franchir le pas de l’inconnu, n’y a-t-il pas là quelque chose de vertigineux pour chacun d’entre nous ? Imaginez un acteur à la carrière longue comme le bras. Reconnu par ses pairs comme l’un des monstres sacrés de sa discipline, qui aura tourné avec les plus grands, dans les productions les plus saluées qui, durant ses plus de cinquante ans de carrière, aura gagné tous les prix, l’admiration du public, et l’assurance d’être reconnu dans la rue. Imaginez maintenant que cet acteur, qui n’aura eu besoin, pour se faire un nom, ni de la gloire de son père, ni du château de sa mère, imaginez que ce comédien décide de tout reprendre à zéro et de se jeter dans l’inconnu.
Cet acteur, peut-être l’aurez-vous deviné, c’est Daniel Auteuil, l’inoubliable interprète d’Ugolin dans Jean de Florette, le compagnon de route de Pascal Duquenne dans Le Huitième Jour, mais aussi, aux côté de Pierre Richard, Jacques Villeret ou Jacques Brel, l’un de ces comédiens suffisamment touchants pour incarner au cinéma le rôle de l’étourdi attachant François Pignon.
Cet inconnu, c’est la chanson. Oh bien sûr, voilà un inconnu tout relatif pour celui qu’on a déjà vu pousser la chansonnette au cinéma dans La personne aux deux personnes ou dans le générique des Sous-doués. Ou encore, trésor des archives, à travers l’oublié 45 tours « Que la vie me pardonne » dans les années 80. Mais pour la première fois à septante ans passés, Auteuil décide de consacrer pleinement un album (Si tu as peur, n’aie pas peur de l’amour) et une tournée à cette passion cachée. Un nouveau défi pour celui qui a été nommé 14 fois au César du meilleur acteur, que les habitants de Lavaux, du Jorat, de la Broye et des alentours auront sûrement la curiosité de découvrir lors de son passage au Théâtre du Jorat le vendredi 31 mai.
Mais alors qu’attendre de cette vocation tardive ? Sera-t-elle, à l’instar de Hugh Laurie (interprète de Dr House et auteur-compositeur-interprète), de Michel Houellebecq (écrivain reconnu et auteur d’un lunaire Présence humaine au début de ce siècle) ou de Catherine Deneuve (dont on ne présente plus ni l’oeuvre, ni l’interprétation de Dieu, fumeur de Havane en compagnie de Gainsbourg), une réussite critique et publique ? Ou rejoindra-t-elle les tréfonds de l’oubli musical dans lesquels végètent Christophe Hondelatte, Bernard Tapie, Tony Parker ou Bruce Willis ?
Le public de la Grange Sublime en jugera bien sûr de ses propres oreilles, mais tout tend à penser que Daniel Auteuil a de bonnes chances de rentrer dans la première catégorie. Et il y a sûrement une explication à cela. En effet, l’acteur, au fil de ses rôles, s’est constitué un personnage que l’on retrouve indéniablement dans ses performances musicales. Un personnage attachant, tantôt naïf, tantôt mélancolique, souvent du côté de ceux que la vie atteint, rarement du côté des méchants que rien ne perturbe. Et c’est cette même sensibilité qui transparaît dans sa musique. On navigue ici dans la plus pure tradition de la chanson française à texte, douce et mélancolique, extrayant un peu d’espoir d’une tartine de doutes. On y parle d’amours déçues, d’autres à venir, de souvenirs lointains, de regrets.
Mais Daniel Auteuil, avant que d’être un personnage, c’est d’abord une voix. Une voix où fleure un souffle d’incertitude, une impression de celui qui n’est pas sûr d’être exactement à sa place. Une friabilité qui ne peut laisser indifférent celui ou celle qui, devant une audience, s’est déjà demandé « Qu’est-ce que je fous là ? ». Car si l’acteur-auteur-interprète tente de conquérir cette nouvelle discipline artistique, ce n’est pas avec la ferveur d’un conquistador sûr de son bon droit, mais avec l’embarras de celui qui craint de prendre la place à d’autres. Une voix qui, dans le même temps, rassure et apaise, une voix qui dit « merci », une voix qui dit « je t’aime ».
Une voix enfin, qui nous prouve, un an après le passage dans une configuration similaire de l’actrice Agnès Jaoui, que l’artiste, le vrai, n’a de cesse de se réinventer et sait toujours réserver des surprises à ceux qui croient le connaître par coeur.