Théâtre du Jorat, Mézières – Un petit tour chez le docteur
Le Docteur Miracle, par la Route Lyrique

Deux ans après L’Île de Tulipatan, La Route Lyrique reprend ses quartiers au Théâtre du Jorat pour nous proposer Le Docteur Miracle, opérette d’un Bizet à peine sorti de l’adolescence dans la plus pure tradition du vaudeville quiproquesque.
Décidément, c’est à croire que la programmation du Théâtre du Jorat aurait décidé de se caler sur les scènes mythiques d’Intouchables. Une semaine après Art, qui évoquait notre rapport aux œuvres et rappelait le moment resté dans les mémoires du « pas de bras, pas de chocolat », c’est une autre scène du film d’Olivier Nakache et Eric Toledano qui nous vient en tête au moment d’évoquer Le Docteur Miracle. Les deux protagonistes s’y retrouvent à l’opéra, symbole s’il en est d’une certaine bourgeoisie pédante. Devant une scène du Barbier de Séville, le jeune Driss, plus habitué aux rimes du rap de banlieue qu’aux harmonies de Rossini, lance effaré : « Quoi chut ? C’est un arbre ! C’est un arbre qui chante ! C’est de l’allemand ! Quoi chut ? C’est en allemand… de l’allemand… vous êtes tarés… ça dure combien de temps ? »
Si cette situation prête à sourire, elle n’en illustre pas moins une réalité ancrée dans les consciences : l’opéra, tout comme la danse classique ou le golf, semble parfois appartenir à une certaine élite intellectuelle et financière. Image d’Epinal d’un art trop pur pour s’adresser à la plèbe. Souvent caricaturé, parfois même par les plus grand (Molière aurait ainsi dit que « de tous les bruits humains, l’opéra [serait] le plus cher »).
Alors l’opéra populaire, chimère démagogue ou possibilité réelle ? La question se pose alors que La Route Lyrique reprend ses droits sur les scènes vaudoises et valaisannes dès le 9 juin dans le cadre onirique de la Grange Sublime. Cette Route Lyrique, rappelons-le, est un projet mené par l’Opéra de Lausanne tant avec l’objectif de mettre en avant de jeunes artistes lyriques et musiciens issus de l’HEMU et de la HEM de Genève, que celui d’exporter l’opéra au-delà des murs parfois austères et impressionnants dans lesquels il se crée. Deux ans après L’Île de Tulipatan, c’est sous la direction d’Anthony Fournier et Pierre Lebon que ces jeunes talents viennent nous proposer une nouvelle opérette de leur cru. Exit cette fois-ci Offenbach, place désormais à un autre monument de l’art lyrique en la personne de Georges Bizet.

Et comme pour rendre hommage à la fraîcheur de celles et ceux qui monteront sur scène, ce n’est pas au classique Carmen que s’attaqueront cette bande de joyeux drilles, mais bien au Docteur Miracle, une œuvre de jeunesse du compositeur français. De fait, cette courte opérette en un acte est composée par un Bizet de dix-neuf ans, alors encore étudiant au conservatoire de Paris.
Son récit, elle va le puiser dans des ressorts comiques on ne peut plus moliéresques, puisque c’est du côté de la très boulevardière médecine et du très vaudevillesque quiproquo amoureux qu’il va chercher son argument. Autant de ressorts comiques qui nous éloignent de ce que l’on pourrait se préfigurer en voyant le mot « opéra » s’afficher sous nos yeux. Le livret de Léon Battu et Ludovic Halévy, d’après Saint-Patrick’s Day de Richard
Brinsley Sheridan, narre ainsi les amours de Silvio et Laurette, perturbées par le veto imposé par le père de cette dernière. Pour contourner cet interdit, le jeune Silvio n’hésitera pas à se travestir en médecin. Un synopsis des plus simples, mais une formule comique toujours payante.
Alors, la Route Lyrique permettra-t-elle une fois de plus à l’opéra de se départir de ses parfois trop encombrantes lettres de noblesse ? Saura-t-elle prendre le meilleur de cet art complet et le transfigurer en ces murs que Morax a voulu ceux du peuple ? Cette coproduction massive (Opéra de Lausanne, Opéra de Tours, Théâtre du Châtelet, Opéra de Rouen Normandie et Bru Zane France) aura en tous les cas les moyens de ses ambitions. Et il ne tiendra qu’au public méziérois de répondre au rendez-vous et d’oser franchir le Rubicon des a-priori.