Théâtre du Jorat-Mézières – « Peu importe l’époque à laquelle une pièce est écrite, si elle doit parler, elle parlera »
Interview de Loubna Raigneau pour le spectacle Fantasio, mis en scène par Laurent Natrella
La production culturelle romande est foisonnante et il est parfois compliqué pour de nouvelles têtes de trouver leur place face à certaines figures présentes depuis des années. C’est donc un pari important qu’a pris le Théâtre Kléber-Méleau en confiant à huit comédien-ne-s tout juste sorti-e-s des écoles la responsabilité d’interpréter Fantasio d’Alfred de Musset, sous la direction de Laurent Natrella, ancien sociétaire de la Comédie française. Rencontre avec Loubna Raigneau, interprète de la princesse Elsbeth dans cette pièce à voir au Théâtre du Jorat le 7 juin.
Loubna Raigneau, vous êtes sortie de la Manufacture en 2022 et avez presque immédiatement été intégrée à la troupe de Fantasio. Comment avez-vous vécu le fait, votre formation à peine terminée, d’entrer tout de suite dans un projet de cette ampleur ?
Je crois que je ne réalisais pas tout à fait sur le moment la chance que c’était, parce que je sortais moi-même tout juste de la Manufacture, d’un spectacle de sortie qui avait tourné avec une belle ampleur et un aspect déjà très professionnel. Et c’est vrai que c’est au moment où la création a commencé qu’on réalise à quel point tout se déroule dans les meilleures conditions que l’on puisse avoir dans le monde professionnel. Je sais que ça ne se passe pas toujours aussi bien en termes d’accueil, d’entente, de compréhension commune, d’envie commune, de bienveillance et d’écoute. Dès les auditions, on sentait qu’on avait la chance d’avoir le temps d’expérimenter, de se rencontrer, de jouer avec une matière textuelle, d’avoir déjà les retours de Laurent (Natrella) et Marie-Evane (Schallenberg), le metteur en scène et l’assistante à la mise en scène. On était déjà dans du travail joyeux et ça a continué sur toutes nos périodes de création.
Vous parlez de Laurent Natrella, comment définiriez-vous son style de mise en scène ?
Laurent, ça se sent qu’il est comédien, qu’il aime le théâtre et le jeu. Il nous demandait d’être forces de propositions, il attendait de nous qu’on s’imprègne de nos personnages. Ça se sent qu’il aimerait être au plateau avec nous. Physiquement, c’est un metteur en scène qui se lève, qui vient en plateau, qui nous montre comment lui pourrait faire, sans nous imposer de faire comme lui et qui est très à l’écoute de nos besoins en tant que comédiens et comédiennes. Musset l’habite depuis très longtemps, la manière dont lui le vivait, ça a transpiré sur nous et ça a fait que ça s’est envolé dans une très grande entente.
Jouer des pièces institutionnelles comme Fantasio est de plus en plus rare, la plupart des compagnies préférant axer leur travail sur des créations totales. Appréhende-t-on différemment un texte classique comme celui-ci ?
Non, je ne pense pas. Le discours de Laurent était clair à la base : cette pièce nous permettait, malgré tout, de parler d’aujourd’hui, de nous, de qui nous sommes en tant que jeunes, de ce que ça veut dire d’être jeune aujourd’hui. Dans la pièce est présent un contexte de guerre, qui a fini par nous parler tristement un peu trop, de même que tous ces enjeux de la jeunesse : comment vivre, comment rêver, comment aimer, à quel prix, est-ce que ça en vaut la peine ? Peu importe l’époque à laquelle une pièce est écrite, si elle doit parler, elle parlera, et si elle est encore là, c’est qu’elle continue de parler. Et on a fait le pari de garder ce texte à 99 % tel qu’il est écrit par Musset, pour faire vibrer ce que nous avons à en dire. Je crois que c’est un pari réussi, par ailleurs.
Vous interprétez la princesse Elsbeth, dont le caractère dans la pièce de Musset peut être réduit à une jeune fille bien obéissante. Avez-vous tenté de lui donner une résonance nouvelle, plus propre à notre époque ?
C’était important pour moi, oui. D’autant plus qu’il y avait cette image de poupée qui était ressortie, de laquelle je voulais qu’on s’échappe. Pour moi, elle n’est pas obéissante à son père, elle se questionne et s’empare d’enjeux politiques qui lui incombent, qu’elle subit par sa situation de fille à marier. Elle choisit la liberté, la rêverie, l’imagination, l’échappée, c’est une guerrière en devenir. Elle change de statut tout au long de la pièce, passe de fille à fiancée, à femme de pouvoir et cherche à comprendre ses désirs et ce qu’elle ressent.