La petite histoire des mots
Autodafé
La semaine dernière, les Russes ont bombardé et détruit la plus grande imprimerie ukrainienne, située dans la ville de Kharkiv, la deuxième du pays, laissant sept morts dans les décombres. L’établissement, qui ne présentait aucun intérêt militaire, était connu pour publier les ouvrages des plus grands auteurs et poètes du pays. De nombreux observateurs y ont vu une volonté de Moscou de détruire l’identité et la culture ukrainienne. Certains ont même évoqué une forme d’ « autodafé ».
De nos jours, ce mot évoque le plus souvent la destruction volontaire de livres par le feu. On songe, par exemple, aux autodafés nazis de mai 1933, lorsqu’à Berlin, ainsi que dans 21 autres villes allemandes, des dizaines de milliers de livres d’auteurs très majoritairement juifs de langue allemande, comme Karl Marx et Albert Einstein, furent jetés au bûcher par des étudiants, des enseignants et des membres des instances du parti nazi, au cours de cérémonies aux flambeaux savamment exploitées par la propagande.
Un siècle plus tôt, le grand écrivain romantique et polémiste allemand Christian Johann Heinrich Heine avait écrit : « Ceux qui brûlent les livres finissent tôt ou tard par brûler les hommes ». Il ne croyait pas si bien dire. Car avant de définir l’action de brûler des livres, le terme « autodafé » désignait une cérémonie expiatoire par laquelle l’Inquisition faisait exécuter ses jugements en éliminant par le feu des objets mais aussi et surtout des personnes jugées impies.
Ce mot nous vient du portugais « auto da fé » qui veut dire « acte de foi ». Il est issu du latin « actus fidei ». Les autodafés, organisée par l’Inquisition catholique, eurent surtout lieu en Espagne, ainsi qu’au Portugal, à la fin du XVe siècle, au XVIe siècle et jusqu’au début du XIXe siècle. Ils frappaient les juifs, les hérétiques ou toute personne déclarée coupable d’avoir enfreint les lois religieuses. Ces mises à mort publiques étaient des cérémonies exécutées en grande pompe, les condamnés avançant en procession, jusqu’au bûcher où ils étaient brûlés vifs.
Le mot « autodafé » fit son apparition dans la littérature française, d’abord sous la forme « auto-da-fé » dès la fin du XVIIe siècle, avant de prendre la forme qu’on lui connaît, quelques décennies plus tard.
L’autodafé ne se contente pas de détruire ou de faire disparaître. Il doit mettre en scène la destruction, selon un rituel public. A la suite, par exemple, de la fatwa de l’ayatollah Khomeini contre l’écrivain britannique Salman Rushdie, des musulmans radicaux brûlèrent ses célèbres Verset Sataniques lors de manifestation publiques, témoignant du fait qu’il ne s’agit pas seulement d’un simple effacement, mais bien de la mise en scène de cet effacement.
Terminons sur cette citation de l’écrivain et philosophe américain Ralph Waldo Emerson qui vécut au XIXe siècle : « Chaque livre brûlé illumine le monde. »