«Rio Corgo» – Terminal pour un Cavalheiro
«Rio Corgo», documentaire de Maya Kosa et Sergio Da Costa
Colette Ramsauer | Un bourlingueur fatigué revient dans son village natal. Il fait la connaissance d’Ana, une adolescente avec laquelle se crée un lien d’amitié, d’échange spirituel, et d’initiation. Inscrit dans le cinéma d’auteur, présenté à la Berlinale 2016, le premier long métrage de Maya Kosa et Sergio Da Costa s’inspire du réalisme magique, avec pour toile de fond la campagne portugaise et ses montagnes de Tras-Os-Montes.
Un spectacle à lui seul
Depuis qu’un pont autoroutier le surplombe, qui semble l’avoir largué, le petit village de Relvas, dans le val de Rio Corgo au nord du Portugal, se situe sur un chemin ne menant nulle part. C’est là que pour leur documentaire, les réalisateurs ont posé leur caméra, attendant le retour dans son village natal de Joachim Silva, personnage original, bourlingueur fatigué. Ailleurs nommé gitan, magicien, mexicain, ici on l’appellera Cavalheiro Silva. Il débarque dans le bled quasi désert, canne à la main, baluchon sur l’épaule, coiffé d’un sombrero, vêtu d’un costume trois-pièces et de bottes self made. Il est à lui seul un spectacle.
Dialogues avec Ana
Solitaire dans sa maison retrouvée, avec pour compagnie un chat et des effigies qu’il dessine à même les cimaises, il peut s’exprimer enfin lorsque Ana lui livre des victuailles. Il lui raconte sa vie, et parce qu’il est magicien, lui montre ses tours. Fascinée par ce personnage fantasmagorique, Ana petit à petit rejoint l’univers de Silva habité d’êtres disparus. «Je ne vis pas seul, j’ai d’autres personnes en moi, une dizaine» prétend-il
Un chien qui chante, ça existe
A travers les images du quotidien, on retrouve la magie des romans de Garcia Marquez, quand sur le feu le repas mijote, et sa poésie bestiaire quand dans les venelles désertes passe un chien. Ou un chat. Ici à Relvas, les animaux vivent heureux. Il y a même un chien qui chante, accompagné par son maître bandonéiste. Etonnant.
La promenade comme idéal de vie
«Pendant nos études – dans la même volée que Sergio à l’HEAD – nous dit Maya Kosa, nous étions déjà très intéressés par le cinéma portugais contemporain – Pedro Costa, Miguel Gomes -; nous avons découvert ensuite les oeuvres des anciens, tels que M. De Oliveira ou J.C. Monteiro. C’est pourquoi, travailler dès la fin de nos études dans ce pays, qui avait en partie construit notre imaginaire, était un passage naturel». In situ, le personnage de Silva a rappelé à leur souvenir la figure du promeneur écrivain suisse Robert Walzer, auquel ils rendent hommage en fin de film. «Nous avons réfléchi à la promenade comme idéal de vie, idéal également partagé par Monsieur Silva» précise Maya.
Hybridation des genres
Lorsque la dimension fantasmagorique du personnage de Silva est mise en scène, le film bascule du documentaire à la fiction et vice-versa dans une hybridation des genres maîtrisée. Au-delà de quelques plans fixes prolongés – défaut de jeunesse? – les réalisateurs signent une oeuvre claire, propre comme une page notée zéro faute. Un pas sûr vers leur avenir cinématographique.
«Rio Corgo» – Suisse/Portugal 2015, 95’ de Maya Kosa et Sergio Da Costa avec Joaquim Silva, Ana Milào
Maya Kosa (1985, Genève) et Sergio Da Costa (1984, Lausanne) obtiennent en 2010 leur diplôme en section cinéma à la HEAD de Genève. Ils réalisent plusieurs courts-métrages, puis produisent Aux bains de la reine en 2012, Rio Corgo en 2015, Antoine l’invisible 2017 qui leur valent plusieurs prix et distinctions. D’autres films sont en cours de réalisation. Notons que Sergio Da Costa a grandi dans le village de Grandvaux où vivent ses parents.
Les réalisateurs seront présents au cinéma d’Oron le 29 septembre à 20heures pour la projection de Rio Corgo, suivie d’un débat avec les spectateurs. CR