Sidération
La petite histoire des mots, La chronique de Georges Pop
Un grand nombre d’élus français ont avoué avoir été stupéfaits en apprenant la décision du président Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer des élections législatives anticipées. Certains ont même confié avoir été frappés de « sidération ». Ce terme désigne un choc émotionnel d’une grande violence, susceptible d’empêcher toute compréhension, voire toute action.
On notera d’emblée la proximité des mots « sidération » et « sidéral ». Le second nous vient du latin « sideralis » qui signifie « astral », dérivé de « sidus » qui veut dire « astre ». Le « vide sidéral », par exemple, désigne l’espace supposé dépourvu de matière, situé entre les astres. Le substantif « sidération » est lui aussi issu de « sidus ». Chez les Romains, « sideratio », désignait l’influence néfaste des astres sur la santé des végétaux.
En français, « sidération » réapparaît dès le XVIe siècle pour évoquer l’influence attribuée aux astres sur la vie ou la santé d’une personne. Deux siècles plus tard, la médecine définit la « sidération » comme « l’anéantissement brutal et subi, proche de la mort, des forces vitales sous l’effet d’un choc émotionnel ou… de la foudre » ; une forme de catatonie qui paralyse le sujet, le laissant sans voix et incapable d’agir.
De nos jours, en psychiatrie, la sidération caractérise une profonde stupeur vécue lors d’une grande violence, comme un viol, par exemple. Elle provoque une dissociation mentale et émotionnelle qui bloque la raison et empêche toute réflexion ou action. Dans les cas les plus graves, elle peut être à l’origine d’un trouble de stress post-traumatique, observé chez les militaires revenus d’un front de guerre, notamment.
Ce processus de sidération a été décrypté par la médecine : lorsque notre cerveau est saturé de stress, au lieu de nous doper à l’adrénaline, afin de nous sauvegarder, il choisit de produire de quoi nous anesthésier, en relâchant certains neurotransmetteurs, comme des endorphines. Elles ont un effet semblable à celui de la morphine, non seulement sur l’état de conscience, mais aussi sur les muscles.
Il va sans dire que la « sidération » décrite par analogie par certains élus de France, en apprenant la décision d’Emmanuel Macron, est plus proche d’une stupéfaction passagère que de l’état catatonique défini par la médecine et la psychiatrie. Heureusement !
Il est intéressant de noter que le mot « sidération » a encore un sens dans le domaine agricole. Il désigne un système de rotation des cultures dans lequel on enterre une plante pour enrichir le sol en azote. Par les temps qui courent, cependant, cette définition est tombée en désuétude. Actuellement, lorsqu’un paysan parle de « sidération », il évoque certainement davantage son impuissance déprimante à sauver son exploitation que ses méthodes de culture.