Roquet
La petite histoire des mots, la chronique de Georges Pop
Désormais connu pour l’intempérance outrancière de ses propos, l’ancien président russe Dmitri Medvedev s’est à nouveau distingué la semaine dernière en déclarant qu’il était temps que la Russie se montre « impitoyable » à l’endroit de l’Ukraine. Comme si elle ne l’était pas déjà ! Considéré autrefois comme un libéral, partisan d’un rapprochement avec l’Occident, celui qui a récemment qualifié les dirigeants des démocraties libérales de « porcelets grognants » est parfois qualifié de « roquet », par certains commentateurs, tant il aboie et menace de mordre.
De nos jours, le mot « roquet » désigne un petit chien hargneux qui aboie de manière intempestive, mais aussi un individu insultant, menaçant, mais en définitive peu redoutable. L’étymologie du mot est incertaine et il existe plusieurs hypothèse à propos de son origine. Selon la plus vraisemblable, il serait issu du verbe « rauquer » qui signifie crier avec une voix rauque ; ce dernier terme étant issu du latin « raucus » qui veut dire « rauque » ou « enroué ».
Certains linguistes l’associent cependant plutôt au patois poitevin « roquer » qui signifie « faire un bruit de mâchoires », lui aussi dérivé très vraisemblablement de « raucus ». D’autres encore y voient un lien avec les mots « rakel » ou « reckel » qui voulaient dire « chien » en vieil allemand. Quoiqu’il en soit, en français, le mot « roquet » est présent dès le XVIIe siècle pour nommer un petit chien à oreilles droites. Un siècle plus tard, dans la littérature, il désigne métaphoriquement un homme sans valeur qui profère des paroles insultantes, puis un individu hargneux, envieux et médiocre.
En France, où le pouvoir fut de tous temps contesté et ceux qui l’incarnent très souvent insultés, le mot « roquet » est resté associés à deux personnalités de premier plan. Ministre des affaires étrangères sous la présidence de Georges Pompidou, à la fin des années soixante, Michel Jobert fut surnommé le « Roquet d’Orsay » par le Canard Enchaîné, le Quai d’Orsay étant le siège du ministère français des affaires étrangères. Cet homme de nature plutôt affable, fut très inélégamment affublé de ce sobriquet méprisant davantage pour sa petite taille que pour son tempérament.
En 1985, lors d’un débat télévisé, entré dans les annales du petit écran, Jacques Chirac, alors dans l’opposition, interpella le premier ministre de François Mitterrand, Laurent Fabius, l’accusant de l’interrompre « comme un roquet ». Estomaqué par l’insulte, Fabius prit un air indigné, et lui répondit sur un ton ampoulé : « Je vous en prie, vous parlez au premier ministre de la France » ; ce qui, sans surprise, lui valut davantage de ricanements que de compassion de la part de ses acrimonieux compatriotes.
Pour en revenir aux menaces russes, terminons par cette citation de l’écrivain, poète et philosophe français Paul Valéry, frappée du sceau du bon sens : « Le plus sale roquet peut faire une blessure mortelle. Il suffit qu’il ait la rage. »